samedi 18 septembre 2010

Swans - Papa, t'es encore dans l'coup !

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Quelque part, le retour de bâton fait plaisir à voir (et à entendre). Alors que le revival post-punk a déferlé sans discontinuer depuis une dizaine d'années, et tandis que les vétérans du genre se reforment toutes les trois semaines pour encaisser quelques chèques (ce qui n'est pas forcément pire que s'ils se piquaient de refaire des albums), il en reste encore quelques uns dont l'intégrité ne s'est toujours pas totalement diluée, et ce sont eux qui excitent, enthousiasment et font les gros titres de la presse spécialisée. Un juste retour des choses à l'heure où Interpol s'apprête à publier un nouvel opus dont on peut d'ores et déjà affirmer qu'il ne soutiendra pas la comparaison avec ses aînés, et où le meilleur groupe post-punk de sa génération - Liars - voit son aura diminuer progressivement.

Trois légendes du post-punk au moins auront publié un nouvel album avant la fin 2010 : David Tibet (Current 93) il y a quelques mois, Nick Cave (en l'occurrence avec son Grinderman) la semaine prochaine, et donc Michael Gira avec Swans, dont c'est la première publication originale depuis 1996. Le point commun entre ces trois-là ? Sans jamais renier l'esthétique qu'ils contribuèrent en grande partie à forger, ils ont très largement dépassé les frontières du genre pour accoucher d'univers n'appartenant qu'à eux (quoiqu'ils aient largement fait école depuis). La principale différence ? Alors que Tibet et sa folk-biblico-expérimentale ou Nick Cave et son rock décharné sont désormais bien loin de tout cela, Gira, lui, revient bel et bien à ses premières amours sur le douzième album des Swans. Et le résultat est confondant.

On pourrait bien sûr dégoiser sur la qualité exceptionnelle de ce disque, qui venge à lui seul tous les millions de fans quotidiennement bafoués par les reformations de leurs idoles. On pourrait s'agenouiller devant la radicalité de ce My Father Will Guide Me up a Rope to the Sky, à la noirceur étouffante et aux complaintes dark lancinantes. On pourrait pourquoi pas avoir les larmes qui montent aux yeux à l'écoute d'une voix qui n'a jamais sonné aussi juste, haranguant l'auditeur en des psaumes étranges, menaçante, toujours sur la brèche. On pourrait dire tout cela, oui, comme on pourrait louer les quelques diamants (noirs, forcément noirs) qui parcourent cet album ("No Words/No Thoughts", "You Fucking People Make Me Sick"). D'autres le feront mieux que nous.

Ce qui fascine le plus, de toute façon, ce ne sont pas tant les chansons elles-mêmes que le niveau d'ambition qui préside à l'ensemble. Depuis combien d'années n'a-t-on pas entendu un album de post-punk aussi clairement tourné vers l'avenir, ou à tout le moins les deux pieds dans son époque ? Un album de post-punk qui ne soit pas juste rétro, revival ou ordinairement codifié ? Ceux qui répondront "depuis le Drums Not Dead des Liars il y a quatre ans" auront raison et tort à la fois, car si le d'ores et déjà classique du groupe est à n'en pas douter l'un des incontournables de la dernière décennie, c'est surtout le cas échéant le moment précis où la bande d'Aaron Hemphill rompt avec les relents typiquement post-punk qui l'habitaient. Ce qui n'est pas du tout le cas avec Swans ici, qui parviennent d'ailleurs au passage et sans l'air d'y toucher à rappeler tout ce que le trio new-yorkais leur doit. Le titre s'appelle "Reeling the Liars in" - ça ne s'invente pas - et c'est en effet exactement le genre de chansons que l'on déplorait il y a quelques mois de ne pas trouver sur le (très bon) Sisterworld. Mais cela va beaucoup plus loin.

A vrai dire, plus on l'écoute et on plus l'aime... et plus l'on se rend compte que My Father Will Guide Me up a Rope to the Sky est tout simplement l'album que la (plus tellement) nouvelle génération post-punk, peut-être trop appliquée, sans doute tout simplement pas assez douée, a fini par nous faire désespérer d'entendre un jour. Que tous ces groupes, pour certains tout à fait bons, prennent une telle leçon d'un vieux machin de cinquante-six ans... cela ne manque pas d'une certaine ironie. Notez qu'on les comprend : il est plus facile de s'émanciper ou de tuer le père lorsque celui-ci est un vieux con largué. Quand il est encore dans le coup et vous surclasse dès qu'il ouvre la bouche, il y a de quoi nourrir quelques complexes. Si Swans n'avaient pas été inactifs pendant quatorze ans, on tiendrait peut-être là la clé du mystère de cette génération talentueuse, mais quasi incapable de faire table rase du passé. Faute de quoi, on est obligé de revoir la théorie à la baisse et d'avouer les choses telles qu'elles sont : à part peut-être A Place To Bury Strangers (mais ils en sont quand même très loin), aucun groupe proto-punk actuel ne semble avoir assez de souffle pour publier un jour des chansons du niveau d'"Inside Marceline" ou "Eden Prison". Le constat est sévère, et pas forcément rassurant. Mais savoir qu'en plus d'être de retour Swans viennent de publier un de leurs meilleurs albums est, pour l'heure, une compensation suffisante.



My Father Will Guide Me up a Rope to the Sky, de Swans (2010)

13 commentaires:

  1. Il a l'air terrible. C'est quand la sortie officielle ?

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  2. Je n'en peux plus de l'attendre...

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  3. Je confirme, c'est une des premières fois depuis début 2010 que je me dis waaaah, un bon disque rock !
    Là je réécoute des anciens albums qui se trouvent dans ma discothèque depuis des années.

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  4. Tiens, cool de voir cet album (ce groupe) ici, je ne m'y attendais pas (même si je ne parlerais pas de post-punk concernant les Swans, même si c'est vrai que ça convient au final, dans une optique certes large). Je ne connais pas très bien les Swans en fait, je découvre assez, me prenant pas mal de trucs énormes dans la tronche, et ce nouvel album je ne l'ai écouté qu'une fois mais il a l'air bon. Sinon j'ai l'impression qu'il a leaké une éternité et il n'est toujours pas sorti, haha.

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  5. Les premiers albums de Swans sont quand même très nettement post-punk et clairement influencé par Joy Division... en fait pourrait dire que Swans c'est du punk-post-JoyDiv :-D

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  6. Excellente chronique. Et super disque! Entre C93 l'an passé et Swans cette année, les "papys" font mieux que de la résistance. Je ne pensais pas qu'ils sortiraient un truc aussi bon. Mais si. Et le père Gira est en super forme: le dernier Angels of Light était déjà incroyable.

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  7. Ok, Papi fait de la résistance, c'est fait.

    Il nous reste que "c'est beau de vieilli", qui s'en charge ? ;-)

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  8. Je peux m'en charger aussi, mais ca va se voir que celui là je le fais sur commande. :'(

    :en a marre d'utiliser des expressions éculées:

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  9. Ayé, je l'ai.
    Pourquoi y'a que 5 diodes ? C'est une erreur, non ?

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  10. C'est ton commentaire qui doit être une erreur : il laisse entre qu'on aura un album commun dans notre liste de fin d'année :-)

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  11. Oui ! Le meilleur de l'année ! 6 diodes ! je suis d'accord ! ;-)

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