samedi 9 mai 2009

Radiohead - Enfant difforme

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Que faire lorsque vous êtes une malheureuse maison d'édition qui vient de perdre avec fracas son plus valeureux poulain ? Vider le catalogue bien sûr ! Alors comme ça, Radiohead veut faire le malin et se produire tout seul comme un grand ? Tu vas voir mon bonhomme... tu vas voir toi, le petit à tête de piaf sous tranxène... on va te faire cracher au bassinet. Du best of. De la réédition. De la Deluxe Edition. Tu la vois là, ta belle crédibilité indie ? Hein ? Regarde-bien, attention... hop ! Tu la vois plus !


De toute la flopée de rééditions radioheadiennes, celle de Pablo Honey est sans aucun doute la plus intéressante... tout simplement parce que c'est l'album mal aimé du groupe, celui qui pue des pieds pensez-donc : Radiohead n'y faisait preuve d'aucune prétention et n'essayait pas de révolutionner la pop. Il la jouait même carrément petits bras, évoluant dans un registre britrock très balisé, se rendant même coupable du crime ultime : laisser transparaître ses influences (ça, c'est pour la blague, les influences de Kid A sont toutes aussi palpables, simplement on les connaît moins... alors qu'évidemment R.E.M. sur 'Stop Whispering' ou les Stones sur 'How Do You?' ça parle quand même à un tout petit peu plus de monde que Throbbing Wristle ou même Robert Wyatt...). Comme en plus Pablo Honey renferme 'Creep' (la chanson que les fans détestent adorer) et que sa pochette est une des plus laides de tous les temps... le moins qu'on puisse dire est que ce brave disque était très mal barré pour la postérité. D'autant qu'on ne peut même pas se raccrocher aux branches en se disant ouais, c'est ici que tout a commencé - c'est pas vrai du tout. Tous ceux qui l'ont acheté à l'époque et qui ont ensuite découvert The Bends vous le confirmeront : pas un seul qui se soit attendu à une mue si brutale. Alors que chacun des autres opus de Radiohead semble suivre une ligne continue et presque mathématique, Pablo Honey a l'air évadé de nulle-part. Un peu comme si The Bends avait été la suite de plusieurs albums fantômes enregistrés entre 1993 et 1995 (ce qu'il est, d'ailleurs : en 1994, Radiohead a bel et bien enregistré un deuxième album qu'il a en grande partie jeté à la poubelle - le reste est paru sur l'EP My Iron Lung).

Pour un peu on jurerait qu'Yorke et ses potes ont en fait enregistré Pablo Honey lorsqu'ils avaient 18 ans... ce qui n'est sans doute pas faux, beaucoup de ses titres ayant été composés à la fin des années 80 et au tout début des années 90. D'où un côté power-pop adolescente particulièrement marqué (notamment dans les textes d''I Can't' ou d''Anyone Can Play Guitar') et un goût manifeste pour le ralenti/explosion façon Pixies ('Ripcord' et 'Vegetable' sont de purs produits de la Black Francis High School of Indie Music). Un jour peut-être, dans un siècle, on finira sans doute par comprendre pourquoi un matin Thom Yorke décida d'effacer totalement cet aspect de sa musique, comment il est passé des Smiths au krautrock et du grunge au prog'. Ou non. D'ici là, autant redécouvrir un album qui n'a jamais été aussi mauvais qu'on a bien voulu le dire (il s'est fait massacrer par la critique à l'époque... et n'a eu de cesse d'être massacré par les prosélytes de l'axe OK Computer/Kid A par la suite), d'autant qu'il a particulièrement peu vieilli au regard de ce qui produisait en Angleterre en 1993. Raison subsidiaire ? Les bonus sont particulièrement renversants, reprenant pour bonne part l'EP Itch (les 'Killer Cars' et autre 'Banana Co.'), ressortant l'antique (et redoutable) 'Inside My Head' (le morceau sur lequel Muse bâtit toute sa carrière) et agrémentant le tout de quelques uns de ces lives fulgurants dont le groupe avait le secret à l'époque. C'est à n'en pas douter là, dans cette poignée de version live de 1992, qu'on trouvera vraiment le germe de ce qui deviendra plus tard le groupe qui achèvera de vider le dictionnaire de superlatifs de la presse.


👍👍 Pablo Honey [Special Collector Edition]
Radiohead | Parlophone/Capitol, 2009 (1993 pour l'édition originale)

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