samedi 26 juin 2010

Philip Roth - Limp Bizkit

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C'était malheureusement prévisible. Et si la critique américaine s'est littéralement (et sans doute un peu abusivement) déchaînée, on ne pourra pas dire que les lecteurs du Golb n'étaient pas prévenus ; il y a un an et demi, alors que paraissait aux États-Unis Indignation, votre serviteur écrivait : "Quelque part c'est rassurant : Philip Roth est donc humain !", au terme d'un livre efficace mais dont les ressorts (narratifs, stylistiques et thématiques) semblaient inévitablement usés.


Sorti à peine quelques mois plus tard (à l'automne dernier), The Humbling n'a pas vraiment (pas du tout) inversé la tendance, et les fans anglophones de Roth d'avoir fait mine de s'apercevoir médusés que leur idole avait vieilli. A soixante-dix sept ans, Philip Roth commence à s'essouffler, et si sa sidérante productivité (un livre par an depuis 2006, le prochain paraissant à la rentrée dans son pays) suggère une énergie débordante... il n'en vient pas moins de publier son livre le plus raté depuis des années - sinon depuis toujours. Croyez-moi, ce n'est pas sans un pincement au cœur que je l'écris. Mais il faut parfois savoir se rendre à l'évidence, même avec ses idoles : The Humbling n'est pas uniquement en-dessous du niveau habituel de son auteur. C'est tout simplement un mauvais roman.

D'ailleurs en fait de roman, on songe plus souvent à un bizarre assemblage de bric et de broc, très court (moins de cent-cinquante pages) et assez mal construit. Narrant l'histoire poussive d'un acteur arrivé au crépuscule de sa vie et sombrant dans la dépression au fur et à mesure qu'il sent ses facultés diminuer, The Humbling n'est, surtout, qu'une formidable et stupéfiante redite de bouquins - The Dying Animal et Sabbath's Theater - comptant déjà dans la moyenne basse de la production rothienne. Bien sûr, le fait de connaître l'œuvre sur le bout des doigts n'aide pas. Cela n'explique cependant pas ce sentiment désolant de voir le plus écrivain vivant se métamorphoser au fil des pages en parodie de lui-même. C'est donc vrai, que les vieux radotent ?

En tout cas ce qui est faux, c'est qu'ils bandent mou. En tout cas dans les livres de Philip Roth. Car bien sûr, comme toujours lorsqu'il ne sait pas quoi raconter, il se laisse très vite aller à de la fantaisie sexuelle à peu près aussi excitante que les œillades d'un vieux bonhomme libidineux. Lui qui a écrit tout au long de sa vie quelques unes des plus belles pages sur le désir s'abaisse à des âneries terrifiantes de conneries misogyne (conversion de lesbienne, threesome grotesque où l'on apprend qu'en général, dans ce genre de cas, une des filles finit par chialer dans un coin de la chambre - ah bon ?) ; le génie... le seul auteur suffisamment captivant pour qu'on ait chroniqué TOUS ses livres sur ce blog... s'effondre et même : se ridiculise. Pire que tout : il n'écrit même plus très bien, divague... vous savez chers lecteurs comme je n'aime pas brûler mes idoles. C'est hélas parfois nécessaire. On referme The Humbling purement et simplement affligé, au sens le plus strict de ce terme. C'est un roman triste, au propre comme au figuré. Si on était méchant, on dirait qu'il met sans doute parfaitement en abyme la condition de son auteur. On n'a pas envie d'être méchant, d'en faire un Top of the Flops... ça ne le mérite même pas.

On a juste envie de pleurer sur le déclin irrémédiable de l'auteur le plus puissant et génial des trente dernières années.


The Humbling, de Philip Roth (2009)


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18 commentaires:

  1. Tu lis en anglais dans le texte ou c'est déjà disponible en traduction?
    Au risque de paraître idiot, pourquoi ce titre à ton article?
    :-)

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  2. Ce n'est malheureusement que logique. Il faut parfois savoir finir.

    BBB.

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  3. Il fait pitié, Golb: je l'avais ecrit à la sortie de Humbling l'an dernier, ici. J'attends le prochain,on ne saitjamais : un sursaut delucidité..?
    Et puis, connaissantl'auteur - pas personnellement, mais comme vous, grande fan depuis le debut de son oeuvre - j'en suis arrivée à me demander si ce livre n'est pas un clin d'oeil, un geste signifiant " Regardez jusqu'où nous pouvons déchoir ?"
    Bien dans l'esprit de la littérature américaine contemporaine qui fait souvent del'humour à ses dépends.

    Ou sinon, et bien, la loi commune et nous y plongerons à notre tour.

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  4. Je suis sur le point de terminer THE PLOT AGAINST AMERICA, sur tes bons conseils... ;-)

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  5. Bon sang, ce billet me rendrait presque nostalgique !

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  6. Mmarsup >>> oh non, pour la sortie française... je sais pas, dans trois ans ? Si on considère qu'en France ils ont édité en septembre l'avant-avant dernier (qui datait de 2007)... ce qui répond indirectement à ton autre question.

    BBB. >>> mais ce n'est pas toujours facile pour autant...

    Lise >>> je ne me rappelle absolument pas que tu l'avais dit l'an dernier (non ? On se vouvoie, maintenant ? ^^). En revanche, moi, j'ai peu d'espoir concernant le fameux Nemesis à paraître à la rentrée. Déjà, Indignation témoignait d'une sévère baisse de régime... j'ai bien peur que cette fois-ci, ce soit malheureusement la fin...

    SysT >>> QUOI ? Mais ça doit faire un an que je te l'ai conseillé ! :-)

    Ing >>> ah bon ? Nostalgique ?...

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  7. Non, ce n'est pas facile; Souvent, la mort vient faciliter la tâche.

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  8. "vouvoiement" : Nous restons trop longtemps loin l'un del'autre ( rougissante, éperdue, and everything else ) je l'avais mentionné à la sortie, pris à la biblio ici, et lu en diagonale, parce que j'étais déçu, 'cause, to me too, Mr Roth :(
    Je n'ai pas ta grande patience.
    mais ecoute, onblui donneune uatre chance, OK ? Nemesis, dès que je le reçois,je t'en parle, d'accord ?
    "Nemesis" ?? dis, regle-t-il des comptes, ou quoi ? rien que le titre, brrr..

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  9. Le pitch de Nemesis :

    "In the "stifling heat of equatorial Newark," a terrifying epidemic is raging, threatening the children of the New Jersey city with maiming, paralysis, life-long disability, and even death. This is the startling and surprising theme of Roth's wrenching new book: a wartime polio epidemic in the summer of 1944 and the effect it has on a closely knit, family-oriented Newark community and its children.

    At the center of NEMISIS is a vigorous, dutiful, twenty-three year old playground director, Bucky Cantor, a javelin thrower and weightlifter, who is devoted to his charges and disappointed with himself because his weak eyes have excluded him from serving in the war alongside his contemporaries. Focusing on Cantor's dilemmas as polio begins to ravage his playground--and on the everday realities he faces--Roth leads us through every inch of emotion such a pestilence can breed: the fear, the panic, the anger, the bewilderment, the suffering, and the pain.

    Moving between the smoldering, malodorous streets of besieged Newark and Indian Hill, a pristine children's summer camp high in the Poconos --whose "mountain air was purified of all contaminants"--Roth depics a decent, energetic man with the best intentions struggling in his own private war against the epidemic. Roth is tenderly exact at every point about Cantor's passage into personal disaster and no less exact about the condition of childhood.

    Through this story runs the dark question that haunts all four of Roth's late short novels, EVERYMAN, INDIGNATION, THE HUMBLING, and now, NEMESIS: what kind of accidental choices fatally shape a life? How powerless is each of us up against the force of circumstance?"

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  10. A mon avis, c'est comme Fred Durst, il a peut-être mal au dos et ça doit l'empêcher de se focaliser sur on art :(

    Perso j'en suis resté à la Bête Qui Meurt. Jamais lu les suivants...

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  11. Roth avait une dizaine d’année lorsque l’épidémie de polio a ravagé Newark, où il est né. (Y habitait-il encore ?) En 1945, la ville comprenait entre 30 et 40.000 habitants, c’était donc une petite ville dans laquelle la grande frayeur de cette épidémie s’est propagée comme la poudre. Ce thème me plait. Nous faisons face aujourd’hui à certaines ombres menaçantes qui se propagent en 24 heures et motivent pareillement des décisions insensées.

    Et voici Bucky Cantor, le sauveur ; ou le Sauveur ? Il sera intéressant de voir jusqu’où ira Roth dans le développement du personnage.

    “ what kind of accidental choices fatally shape a life? How powerless is each of us up against the force of circumstance?"
    Exactement : s’il a gardé sa légendaire souplesse de ton et d’esprit, on pourrait avoir là un autre grand Roth.

    Tom, voici une critique AVANT sortie du bouquin, je crois que là, tu es pionnier en la matière !!

    Merci pour le pitch.

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  12. Benjamin >>> je pensais plus à une traduction littérale du nom de groupe ^^

    Lise >>> oui enfin, je n'ai pas grand mérite, je n'ai fait que recopier le descriptif de l'éditeur :-)

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  13. Ecoute, fais pas la fine bouche, prends les bisous quand j'en envoie, je ne suis pas toujours tendre - et merci pour/de la part de l'éditeur , tu lui fais une bonne pub aussi ! ;)
    See you next month

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  14. Ah mais je prends, je prends :-)

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  15. Aïe, pas facile de déboulonner son auteur préféré de son piédestal. Roth est donc tombé dans la catégorie "Il faudrait qu'ils arrêtent". C'est pour cela je suppose, que les artistes morts jeunes fascinent tant : ils n'ont pas eu le temps de déchoir. Ce qui fait qu'on a parfois tendance à les surestimer.
    Mais bref, ce que tu dis là me renvoie au "pissing contest" ou concours de biiip initié par Ellroy lors de son passage en France. Le provocateur de service affirmait sa supériorité sur Roth en expliquant que lui, plus il vieillit, plus il écrit des pavés, alors que c'est le contraire pour Roth. J'étais consternée.

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  16. Il a vraiment dit ça ? Le pauvre. Je crois qu'il est un peu frustré...

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  17. De Philip Roth, je me souviens de "un homme" que j'avais beaucoup aimé, même si je trouvais déjà que les obsessions littéraires de l'auteur étaient déjà des redites...
    Je pense que le prochain que je lirai ne sera pas une nouveauté mais un plus ancien, comme "la tâche" qu'on m'a beaucoup conseillé.

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  18. Les obsessions de Roth sont toujours les mêmes. La question concerne surtout la manière de les mettre en relief. C'est là-dessus que ce The Humble pèche énormément.

    La Tache ou plus anciens, même, s'il le faut. Les grands livres de Philip Roth ne manquent pas.

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