jeudi 17 juin 2010

Ed Harcourt - One Hit Wonder malgré lui

...
[Article précédemment paru sur l'excellent Interlignage] On a beau dire et répéter, inlassablement, parfois envers et contre tout, que la musique n’est pas un produit de consommation courante comme un autre… il est des évidences auxquelles il est difficile de résister, et des lois auxquelles toute chose en ce bas monde est malheureusement soumise (même ces pages, c’est vous dire). Celle de l’offre et de la demande en est une, qui dans une époque où l’on produit des albums à tourne-bras, où les labels se comptent par centaines et où des artistes qui auraient à peine fait un 45 tours il y a trente ans produisent l’équivalent de doubles LP, ne laisse pas de seconde chance. Soit le succès mainstream vient franchement, soit vous restez sur le carreau et allez au charbon jusqu’à la fin de votre carrière. On ne dit pas que c’est juste – cela ne l’est pas. On dit que c’est ainsi.

La carrière d’Ed Harcourt, ex-jeune prodige devenu trentenaire empâté, semble n’avoir été tracée que pour rappeler cette douloureuse évidence. Il y a moins de dix ans, on lui aurait donné bon Dieu et disque d’or sans confession ni certificat de légitimité. Il était jeune, dégageait une forme de beauté sauvage, et son premier album, Here Be Monsters était d’une incroyable élégance. « Well, I burn all my travelers checks / Just to show you my respect » chantait-il sur l’une des plus belles chansons d’amour heureux que l’on ait jamais entendu, à vous faire verdir de rage un McCartney. S’ensuivirent les traditionnelles dithyrambes, quelques comparaisons fort flatteuses (Jeff Buckley et – surtout – Tom Waits), et puis… rien. Ed Harcourt publie la semaine prochaine son cinquième album, et ceux qui les ont tous entendus se comptent sur les doigts d’une main (on exagère, bien sûr – à peine).


Il aurait pu devenir une star, pourtant. Il avait tout pour. Mais l’histoire de la pop semble, incompréhensiblement, lui avoir préféré Rufus Wainwright dans le rôle du crooner classieux ne lésinant pas sur les ballades. En juin 2001, alors que paraissait Here Be Monsters, Wainwright Jr. publiait Poses. Il ne s’était pas encore reconverti en pâtissier. Ceci explique peut-être cela.

Mais la vérité est à la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus cruelle. La vérité c’est que depuis vingt, vingt-cinq ans… l’Europe fait une consommation déraisonnable de singer-songwriters. Il en sort dix nouveaux chaque mois, pour balayer sans crier gare ceux des mois précédents. Au moment de son second album (le très beau From Every Sphere), Ed Harcourt intéressait déjà nettement moins de gens et la hype avait eu le temps de changer cinquante fois de coqueluche. Cela n’a évidemment fait que s’accentuer à chaque nouvel opus du garçon. L’histoire de la pop, impitoyable, lui a fait somme toute la même chose qu’à Ron Sexsmith : elle l’a frappée du syndrome du meilleur espoir masculin qui ne reçoit jamais son Oscar du meilleur premier rôle. En plus dur encore qu’à Sexsmith, qui sut (pourquoi ? Aucune idée, sans doute était-il juste meilleur) conserver malgré tout au fil des ans une solide fan-base, et devenir plus ou moins culte à sa manière. Pour Harcourt, c’est déjà trop tard. Il est déjà presque has-been.


Il publie donc la semaine prochaine son cinquième album. Lustre, ça s’appelle. Un bel album, pas toujours très inspiré mais comme toujours de bon goût, avec ce qu’il faut de lyrisme pour toucher, mais jamais assez de pathos pour le plomber. Autrefois ambitieux, peut-être même un peu arrogant, il a fini par renoncer aux architectures vertigineuses qui faisaient sa marque jusqu’à l’album Stranger. Il se contente désormais, comme tous ceux qui l’ont précédés, comme tous ces meilleus espoirs masculins balayés par la hype, de publier de bonnes chansons, bien écrites, bien produites. Les incontournables de l’année s’intitulent "Lustre", "Lachrymosity" et "A Secret Society", laquelle le voit aller chasser sur les terres de Coldplay et coller une bonne grosse fessée à ce nigaud de Chris Martin. Si vous vous en souciez, n’hésitez pas à laisser un commentaire, cela fera sincèrement plaisir de voir que nous ne sommes pas les seuls.


Lustre, d’Ed Harcourt (2010)


8 commentaires:

  1. Il faut reconnaître aussi que depuis "From every sphere" sa disco a vachement décliné...

    RépondreSupprimer
  2. Il y a de l'excellent et du moins bon, mais c'était déjà le cas sur ses premiers albums...

    RépondreSupprimer
  3. Ah mais moi je réserve un doigt de la main, grave! Fan de chez fan depuis le premier album, avec une grosse préférence pour From Every Sphere, son chef-d'oeuvre selon moi. Le dernier est pas mal du tout encore, sur les premières écoutes en tout cas.

    PS: putain tu l'as pas gâté avec la photo ^^

    RépondreSupprimer
  4. Dahu Clipperton17 juin 2010 à 22:02

    Je savais pas que John Travolta jouait de la guitare ! ;DDD

    RépondreSupprimer
  5. En même temps je ne suis pas responsable de sa prise de poids. J'ai déjà bien assez de la mienne ^^

    RépondreSupprimer
  6. J'aime vraiment le Ed Harcourt, enfin surtout celui de 'Here Be Monsters' que je considère comme un des plus disques de la décennie passée. Très élégant comme tu dis, mais aussi tenant sur un équilibre précaire, ne tombant pas dans le "trop" (arrangement, voix) d'un rien sur certains passages.

    Le reste de sa discographie est moins cohérent dans l'ensemble même si y a toujours de belles choses à picorer sur chaque album.

    Bref, tout ca pour dire que le père Ed Harcourt, je l'aime bien. On est donc au moins 5.

    RépondreSupprimer
  7. Oh là là... on a commençait comme une petite partouze discrète, on va finir comme un fan-club :-)

    RépondreSupprimer
  8. Oh, une bite de plus une bite de moins...

    RépondreSupprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).