samedi 22 mai 2010

Rosa la Rouge - Envoûtante. Captivante. Déroutante.

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C’est un spectacle étrange, envoûtant, puissant. Dérangeant aussi, parfois. C’est Claire Diterzi bien sûr, que l’on suit et défend depuis longtemps, qui avec son précédent Tableau de chasse avait déjà fait montre de sa capacité à transcender les idées de concert, de tournée, pour retrouver le sens du mot spectacle. C’est Marcial Di Fonzo Bo, aussi, que l’on connaît un peu moins mais dont on sait, pour l’avoir croisé quelques fois sur notre itinéraire de spectateur, qu’il n’est pas le plus mauvais des metteurs en scène de sa génération. Et c’est Rosa Luxemburg, enfin. Sa vie et sa légende, concentrées en un tourbillon post-moderne de quatre-vingt minutes renversantes. Au sens propre.

Alors oui, c’est un beau spectacle. On en ressort assez comblé, assez ému et une fois de plus stupéfait par la présence de Claire Diterzi, qui se révèle ici au moins aussi bonne comédienne que musicienne – ce n’est pas si courant. Sa capacité à concentrer l’attention du public est remarquable, parfaitement soutenue par une mise en scène parvenant à être originale sans sacrifier au grand n’importe quoi que laisse craindre, dans un premier temps, une ouverture dont on se contentera de dire poliment qu’on n’a pas vraiment compris son rapport avec le reste du spectacle.

C’est d’ailleurs le principal sinon seul reproche que l’on pourra faire à cette Rosa la Rouge qui au demeurant nous en aura mis plein les mirettes. Par instants le spectacle, pour total et pour captivant qu’il soit, semble manquer un peu de liant dans l’écriture. On nous en met plein la tronche, on en sort avec des stroboscopes à la place des proverbiales étoiles dans les yeux, mais on n’est pas toujours sûr de savoir pourquoi. Diterzi est Rosa un instant, puis Claire l’instant d’après, puis re-Rosa, puis plus aucune des deux. On saute de la cellule poisseuse dans laquelle la pourpre icône est isolée à « envoie un mail, un pigeon, un SMS » sans tambour ni trompette, et surtout sans transition.

Cela ne rend pas le spectacle mauvais ; mais cela le rend parfois brutal, déroutant. Quelques jours après on tombe par hasard sur le report de Libé, qui raconte que le samedi soir (nous y étions le dimanche) un spectateur s’est écrié "Honte à toi d’avoir sali le personnage de Rosa Luxemburg" . On hausse les sourcils l’espace d’une seconde, on se dit que décidément, certains ne pigent rien à l’art… et puis plus tard, en y repensant, on comprend finalement que quelqu’un d’intransigeant puisse le voir de la sorte. Car si ce n’était assurément pas l’intention de Claire Diterzi, il est évident que dans certains passages de la performance, le message, un peu brouillé, pas forcément très clair, prête le flanc aux erreurs d’interprétations. Mais c’est aussi ce qui fait son charme : Rosa la Rouge n’est pas une œuvre didactique. Si vous y allez – et l’on ne peut que vous y encourager – soyez certains que personne ne vous dira : « Rosa c’était ceci, Rosa c’était cela ». Icône féminine voire féministe ? Figure de la Résistante ABSOLUE ? Artiste s’ignorant ?…

La Rosa Luxemburg revisitée par Claire Diterzi est un peu tout cela à la fois. Elle ne correspond en tout cas à rien de ce que l’on imagine lorsque l’on pense généralement à Rosa la Rouge. A vrai dire, sans doute ressemble-t-elle surtout à Claire Diterzi elle-même, avec tout ce que ce parti-pris peut avoir de gênant sur le papier. Mais il faut dire à quel point tout, dans ce spectacle, est fait de pudeur, de dignité et d’une émotion saine, loin du racolage – la précision est évidemment inutile pour tous ceux qui connaissent l’artiste. Les chansons sont particulièrement réussies et touchantes (même "Aux marches du Palais", pourtant présentée comme un duo virtuel et goguenard avec Lambert Wilson, est tout à fait émouvante), la scénographie souvent surprenante (ce qui explique qu’on vous en dise finalement assez peu)… si l’on sort avec quelques réserves, impossible cependant de ne pas recommander. Il y a là une prise de risques, une ambition et une exigence esthétique tellement supérieures à la moyenne de la production nationale (voire de la production tout court) qu’il serait injuste de s’arrêter à quelques détails dans le fond sans grand intérêt, puisque le ravissement fut au rendez-vous.