vendredi 5 février 2010

Mervyn Peake - Grown, Grown, Groan

...
Alors que dans la plupart des cycles ou des séries on ne saurait trop conseiller de lire les livres le plus rapidement possible de crainte d'en perdre le fil, Gormenghast illustre résolument l'exemple inverse.

Sans doute parce que son univers est particulièrement étouffant (je n'y reviens pas), il demande un temps de digestion, et au moment de le retrouver quelques chapitres de ré-acclimatation. Cela tombe bien : ce second volet éponyme a été construit en ce sens. Du moins prend-il le temps de réinstaller l'univers, ses ruines et sa grotesque démesure, le temps d'une première partie tranquille, amusante, présentant un Titus grandi en butte à ses propres contradictions. Mervyn Peake se réjouit à l'évidence de tourner en dérision les codes du roman initiatique, dévoilant pour l'occasion une nouvelle palette de son insolent talent. Habilement, il fait glisser Titus du côté du lecteur, faisant du premier le réceptacle des hantises du second et utilisant sa détestation de l'univers dans lequel il s'est bâti pour faire écho à ce que nous avons pu ressentir durant tout le premier tome. Le processus est certes simple ; il est cependant exécuté avec une véritable maestria. Car bien sûr, ce qu'éprouve Titus relève de ce mélange d'attraction/répulsion que chaque être ressent au moins une fois (souvent au moment du passage à l'âge adulte) vis-à-vis de l'endroit d'où il vient. Une relation à l'environnement d'autant plus complexe que Titus est appelé à régner sur ce royaume pour lequel il nourrit une aversion si profonde et que, dans le fond, il ne comprend pas. Ce qui achève d'en faire un double du lecteur, dont l'imaginaire est appelé à contribution pour aider à faire exister un univers plus souvent rebutant et anxiogène qu'enchanteur.

En tout logique, la suite est un aboutissement de ce principe. Les intrigues de Steerpike ne pouvaient que l'arracher à sa rébellion, et constituent la partie la plus prenante d'un récit plus ouvertement romanesque que tout ce que la saga nous avait offert jusqu'alors. Ce n'est pas la moindre des qualités narratives de Peake que d'avoir su accélérer la cadence pile au moment où l'on aurait pu se lasser ; dès lors, Gormenghast perd définitivement le côté un peu statique qui rendait parfois Titus Groan difficile d'accès pour le lecteur non averti. Une nouvelle marque de singularité de la trilogie que cette dynamique, cette adaptabilité non seulement aux exigences du récit... mais aussi à celles du lecteur. Il y a toujours eu chez Peake cette forme de générosité, au-delà des qualités intrinsèques de ses romans, de ses qualités de conteur ou de la dramaturgie remarquable d'un Gormenghast. C'est du chef-d'œuvre, oh ça oui, bien sûr... on ne le dira jamais assez. Mais c'est aussi un bonheur de lecture, un univers foisonnant, plein de détails cocasses ou troublants, d'une richesse incroyable et qui, comme si cela ne suffisait pas, se renouvelle en permanence. Difficile de dire si c'est mieux ou moins bien que Titus Groan - on est bien au-delà de ce genre de bêtes notions. C'est en tout cas tout aussi incontournable.


Gormenghast, de Mervyn Peake (1950)

11 commentaires:

  1. 5 6/6 en 10 articles ?!

    Tu ne devais pas noter plus sévère en 2010 ?! ;-)

    RépondreSupprimer
  2. J'ai une bonne excuse : la plupart de ces articles ont été écrits en 2009 :-)

    De toute façon c'est surtout sur les 5 que je trouvais que j'avais la main lourde. Les 6 restent plus ponctuels (là c'est vraiment un hasard de calendrier, je crois qu'il y en a effectivement jamais eu autant en si peu de temps).

    Et puis bon : quelle note pourrais-je bien mettre à un chef-d'oeuvre comme Gormenghast ? Franchement ? ^^

    RépondreSupprimer
  3. Tu as l'édition Vintage? C'est ma maison d'édition préférée, le format est parfait (pour moi) et leurs couvertures sont toujours très très belles (je suis une fille, je suis faible, je suis superficielle, je choisis toujours la plus jolie couverture)
    BREF.
    J'ai "Titus Groan" dans cette édition-là et je prévois de le lire vite, j'ai donc survolé ton avis pour me garder quelques surprises ou réactions. Quand je l'aurai lu, I will be back, comme dirait l'autre.

    RépondreSupprimer
  4. @Thomas : j'en sais rien, je l'ai pas lu.

    RépondreSupprimer
  5. Ofelia >>> j'ai la Vintage, effectivement... et je suis d'accord sur tout le bien que tu dis de cet éditeur. Mon seul regret est qu'il publie tout de même principalement des classiques ou des auteurs "installés" et que du coup... je n'en achète pas si souvent que je le voudrais ^^

    Ambalx >>> ah bah bravo !

    RépondreSupprimer
  6. Des trois, c'est celui dont j'ai le moins de souvenir. Quelques images évadées de l'adaptation de la BBC, mais rien de précis, il ne m'a pas vraiment marqué (même si, bien entendu, les grandes lignes de la trilogie m'habitent, comme tout le monde, des années après). De toute façon, le premier est le meilleur.

    BBB.

    RépondreSupprimer
  7. ah, peut etre ma nouvelle série...

    RépondreSupprimer
  8. Vraiment pas d'accord BBB. Pour moi la trilogie est à prendre dans son ensemble, il n'y a pas un tome meilleur que les autres, ils forment un tout.

    RépondreSupprimer
  9. Oui, c'est vrai que c'est un tout assez cohérent.

    RépondreSupprimer
  10. J'ai lu le premier suite à ton conseil et c'est particulier, mais quel régal quand même ! Merci pour le tuyau.

    RépondreSupprimer
  11. De rien. Ca me fait plaisir de faire découvrir à quelques uns cet immense auteur.

    RépondreSupprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).