mardi 9 février 2010

Martin Amis - No Fun

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C'est un peu l'histoire des McNamara & Troy à la sauce London Punk. La crise sociale grondant en arrière-plan a remplacé les paillettes californiennes, la critique d'une génération post-hippie amochée celle de l'American Way of Life contemporaine... mais les cartes distribuées pour la partie de Black Jack sont à peu près les mêmes : deux demi-frère partageant appartement et désillusions, que tout oppose mais qui ne peuvent se séparer, s'entraînent dans la chute chaque fois qu'ils s'approchent l'un de l'autre.

Le premier est un séducteur, a le port altier et le verbe haut. Il envie sans se l'avouer la normalité de son frère, se confronte en permanence à des problèmes sexuels de riches (trop de femmes, trop de plaisir, trop d'attention) et masque un vide intérieur qu'il donnerait n'importe quoi pour combler un tout petit peu. Le second est un loser fini, au point que même la marie-couche-toi-là du quartier ne veut pas s'offrir à lui. Sa rancœur vis-à-vis de son frère est tenace ; elle n'est rien cependant à côté de la haine de lui-même qui l'habite et le dévore.

Le premier semble avoir réussi et le second avoir raté, mais la réalité est plus complexe : aucun des deux n'est réellement un winner, puisque la réussite après laquelle chacun d'entre eux court n'est finalement jamais à sa portée. Le bonheur, me demanderez-vous ? Allons : le bonheur n'a d'autre sens que la réussite au cœur de l'idéal libéral qui s'apprête à déferler comme jamais sur l'Angleterre. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : avec quelques mois d'avance, Martin Amis anticipe ici admirablement le tournant du thatcherisme, brossant un portrait dévastateur et souvent sordide de son époque au travers de deux bras-cassés se noyant tour à tour dans des monologues délirant et antagonistes : cynique et auto-satisfait pour le premier, désespéré et auto-flagellateur pour le second. Avec toujours cette froideur qui rend parfois Amis si difficile à lire, voire à comprendre. Comme dans la plupart de ses romans, il n'a ici ni pitié ni commencement de compassion pour des personnages qu'il prend un plaisir sadique à ridiculiser, humilier, broyer. L'auteur de Money ne semble décidément s'intéresser qu'à la bassesse de l'âme humaine, et cela déroute quelque part beaucoup plus que l'aspect inégal de ce double récit dont les meilleures pages sont sans doute celles consacrées à Terence-le-loser-autoproclamé, en cela qu'elles soulignent avec subtilité comme l'auto-apitoiement n'est rien de plus que la marque des égos les plus surdimensionnés. Le reste est moins convaincant car Gregory-le-playboy semble un peu moins réel - le reflet de son vide existentiel sans doute.

Le style est absolument prodigieux mais comme souvent chez Amis (et encore plus souvent dans ses premiers livres, le précédent - Dead Babies - souffrant du même défaut) - la démonstration tourne un peu court sur la fin, on n'est pas tout à fait sûr de bien comprendre où il veut en venir. Peut-être nulle part ? Peut-être Success se veut-il un roman totalement nihiliste ? C'est possible. En tout cas, il glace le sang plus souvent qu'à son tour.


Success, de Martin Amis (1978)


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8 commentaires:

  1. Merci !
    Merci d'avoir mis des mots sur ce que je ressens chaque fois que je lis cet auteur. Oui, c'est froid et assez odieux. Très bon, mais flippant, presque.

    Bonne journée.

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  2. deux attitudes opposées pour un meme manque, deux demi frère, une seule personne (comme symbolisé par le dessin de la couverture)? c'est ce que je comprend au travers de ta chronique. en tout cas ce thème m'intéresse.

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  3. Hé ! C'est Sean McNamara que tu traites de loser ? :-(

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  4. J'ai lu ce livre il y a longtemps et ton billet me donne envie de le relire. C'est un de mes romans préférés d'Amis avec L'Information. Je ne pensais pas ce roman si vieux, mais c’est vrai qu'il préfigure ce que seront les années 80....

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  5. Oh tiens. Un livre que j'ai lu, sur Le Golb !

    Je ne m'en rappelle plus, mais ça méritait d'être souligné.

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  6. Bloom >>> mais de rien !

    Xavier >>> oui, c'est plutôt pas mal synthétisé.

    Marion >>> au début de la série c'est quand même un peu un loser, avec sa petite vie un peu pathétique, incapable de faire jouir sa femme, et quand il se trouve une maîtresse c'est évidemment une malade incurrable qui finit par mourir à peine la partie de jambes en l'air finie...

    Emma >>> en fait c'est son second, si je ne me trompe pas.

    Leïa >>> oh tiens. Tu lis des livres. :-)

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  7. Martin te propose de devenir son Amis

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  8. Ca va, vieux ?

    Depuis que tu es sur facebook je te sens très perturbé :-)

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