jeudi 20 août 2009

Alma Brami - "Personne ne va te manger..."

...
"Ils l'ont laissée là. Ils l'ont déposée.
« Parce que ça ne peut plus durer », a dit son père.
« Pour son bien », a dit sa mère.

La soeur n'a rien dit.

Et puis ils sont partis."


Le second roman d'Alma Brami commence peu ou prou là où s'arrêtait le premier, attachant Sans elle, inégal sans doute - intéressant à plus d'un titre : dans un déluge de phrases saccadées, lapidaires. Exposition rapide comme le bandeau d'une rubrique faits-divers (Deborah a été déposée contre son gré dans un institut psychiatrique qui refuse de dire son nom, par des parents dépassés par les évènements), pour un bref roman dont la progression narrative balisée (au gré de vignettes colorées le lecteur devine progressivement comment on en arrive à la grisaille du présent) privilégie l'efficacité au détriment des enluminures pathos généralement inhérentes à ce type de récit. Un mal (durant le premier quart d'Ils l'ont laissée là on a vraiment la sensation d'avoir lu tout ça mille fois) pour un bien (lorsque l'intrigue subitement pointe le bout de son nez, on est si parfaitement plongé dans l'univers qu'on lui emboîte le pas avec un vrai plaisir), avec en filigranes on le suppose la volonté de dresser en creux le procès d'une société qui préfère trop souvent fuir plutôt que comprendre - isoler plutôt que traiter...

Le thème est vieux comme la psychiatrie elle-même (Bazin, déjà... (*)), la forme pas franchement nouvelle (moins qu'il y a quinze ans, disons)... l'un et l'autre tendent à faire d'Ils l'ont laissée là un roman assez anecdotique, et pourtant s'en dégage une force presqu'inattendue et un souffle en faisant dans sa seconde moitié un livre clairement supérieur à la moyenne. Il y a chez Alma Brami un tel refus de l'émotion facile (d'autant plus remarquable qu'elle n'est qu'une toute jeune femme) que l'on ne peut qu'adhérer. Certes on est plus dans le contournement que dans le parti-pris ; éviter la montagne de crainte de sa la prendre sur la tête plutôt que d'essayer de la gravir avec panache et lâcher prise à la moitié... est cependant un art à part entière, et on n'ose imaginer ce qu'un quelconque tâcheron aurait pu faire d'une telle histoire (assurément un livre qui aurait collé aux doigts). De ce point de vue l'auteure ne lâche rien, quitte à ce que l'arrivée au sommet soit un brin abrupte. Qu'importe : de par son ton, sa retenue et sa rythmique moins scolaire qu'il y paraît de prime abord, Ils l'ont laissée là évoque - excusez le peu - la Marie Darrieussecq des débuts. Non exempte de maladresse, mais capable par instants de surpasser les attentes du lecteur.


👍 Ils l'ont laissée là 
Alma Brami | Mercure de France, 2009


(*) On aimerait d'ailleurs lire à l'occasion un roman montrant une psychiatrie guérisseuse, ça nous changerait...

10 commentaires:

  1. Il y avait eu une vague histoire, à propos de piston, je ne sais plus quoi (Grangé ? je crois), enfin bref : j'avais lu le premier, et j'avais été très agréablement surprise. Je lirai sûrement celui-ci. H.

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  2. Vous me faites un peu de peine à parler de ça. Pas vous ! ^^

    Il n'y a pas une histoire, juste un pauvre article. Pur bullshit que tout cela, au passage. Pour autant qu'on sache Jean-Christophe Grangé a tout à fait le droit d'avoir du goût, d'aimer les manuscrits qui peuvent lui passer entre les mains et/ou de vouloir soutenir les auteurs débutants. On ne voit pas trop où est le problème, ni même ce que le mot "piston" vient faire dans l'histoire (sauf à considérer que la littérature vaut à peine plus qu'une PME). Quand Thom Yorke fait des pieds et des mains pour faire signer un groupe qu'il aime, quand Bowie ou Reznor invitent en première partie des artistes qu'ils aiment pour les faire découvrir à un large public... tout le monde trouve ça cool - et en effet : c'est tout à fait cool. Un jour peut-être je comprendrais pourquoi l'univers des lettres est aussi pourri et minable. A moins que j'en sois dégoûté avant...

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  3. Vous avez bien sûr raison. Je disais cela un peu comme ça. H.

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  4. "Un jour peut-être je comprendrais pourquoi l'univers des lettres est aussi pourri et minable."

    M'enfin, c'est à cause du complot judéo-maçonnique intergalactique !

    Sinon, je veux bien vous croire quand vous affirmez que l'auteur évite le pathos mais ce titre et cette couverture, vraiment...

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  5. Si c'est l'autre nom que vous donnez à la vanité de la nature humaine... alors va pour le complot judéo-maçonnique ;-)

    La couverture... oui, je ne peux pas dire que je n'y ai pas pensé non plus. Mais bon, c'est qu'un petit bandeau de rien en même temps, je l'ai viré et perdu très rapidement ^^

    Quant au titre... je vois ce que vous voulez dire, d'un autre côté cela colle assez bien avec le sentiment d'abandon inhérent à un ado échouant dans un institut psychiatrique (sentiment qu'on retrouve d'ailleurs aussi dans le bouquin susnommé de Bazin). Donc l'un dans l'autre...

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  6. Sur ton astérisque : c'est comme les histoires d'amour, les romans, ça finit mal en général, ça se vend mieux, ça fait pleurer dans les chaumières, relativiser ses propres malheur...

    "Les plus désespérés sont les chants les plus beaux"

    Quand à la psychiatrie guérisseuse... hum, il faut une sacrée dose d'imagination, non ?

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  7. Le très bonne série En Analyse montre très bien cela, à la fois les bienfaits et les limites de la thérapie...

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  8. Très bon exemple, C-U-L-P (je suppose que tu faisais allusion à la seconde saison ?). En fait la question pour moi n'est même pas vraiment de débattre des bienfaits (ou non) de la thérapie... juste de contourner ce qui à la longue devient un cliché. Il y a des millions de gens de par le monde que la thérapie aide à différents degrés... écrire, filmer ces gens-là une fois de temps en temps me semblerait intéressant. Mon ancien psy ne niait pas que la thérapie puisse détruire certaines personnes, il le disait d'ailleurs souvent. De là à ne jamais écrire que sur les gens qui en souffrent, et à ne jamais évoqués ceux que cela aide... tu me diras, ce que je dis pourrait tout autant s'appliquer au système scolaire ^^

    Mais peut-être qu'il ne faut pas compter sur les artistes, qui dans leur écrasante majorité sont très méfiants à l'égard des psys...

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  9. Alma Brami étais le baby-sitter des enfents de Jean-Christophe Grange plus de 10ans et étais folle amoureuse de lui.C'est bien JCG qui L'a pistoné sa career d'écrivante et de comédienne.

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  10. On s'en tape. Tout ce qui compte c'est si le livre est bien ou pas. Il l'est. Point barre. Mauriac a été pistonné par Barrès, ça n'en est pas moins un écrivain immense. Manguel faisait la lecture à Borgès... idem. Le reste n'est que ragot.

    L'histoire littéraire est composée de plus d'une moitié d'auteurs qui n'auraient jamais été connu sans un coup de main d'un ou deux autres auteurs.

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