mardi 16 juin 2009

Philippe Jaenada - La Vie & La Mort (et tout ce qui va avec)

...
Devinette : quel est le point commun entre Philippe Jaenada et Jack Bauer ?

Euh... non madame, Philippe Jaenada n'a jamais étranglé un terroriste avec les pieds (du moins je ne crois pas).

Hein ? Non non, monsieur... Jack Bauer ne pourrit pas ses rapports de parenthèses (sait-il même écrire ?).

Ils sont gravement en danger dans leur dernière aventure ? Ah... ça, c'est pas mal vu. Mais il y a un point commun plus évident - je vous assure.

Non ? Personne ? Bon, allez, je vous aide : leur point commun c'est... moi. Enfin : Le Golb. Pour être exact : ce sont deux des plus grands chouchous du Golb, qui reviennent tous deux en 2009 après une trop longue absence (mais par contre je ne sais pas du tout si Philippe Jaenada a été victime de la grève des scénaristes...)

Ici s'arrête la ressemblance (même si l'on peut supposer qu'il y en ait d'autres, par exemple ils paient sans doute tous deux leurs impôts, ils ont des enfants qui des fois leur cassent les pieds... etc.), quoique leurs vies respectives semblent parfois des plus dangereuses. En ce qui concerne Philippe, cependant, tout va bien : il nous revient dans une forme olympique. On partait pour le retrouver avec plaisir, comme on retrouve un vieux pote qu'on n'a pas vu depuis des lustres (cinq ans au bas mot) et qui aurait plein de choses à nous raconter (tu m'étonnes : il a failli mourir !). On en ressort complètement K.O. : Jaenada vient tout simplement de publier son meilleur livre à ce jour.


"Nous avions parcouru la moitié du chemin quand les premiers arrivés au bout de la plage sont entrés dans l'eau. Quelqu'un avait décidé, non sans jugeote, qu'il fallait passer par la mer pour accéder à la plage suivante [...] C'était ça ou la mort par asphyxie. Nous serions obligés de nous aventurer assez loin dans la mer pour passer le cap (jusqu'à une profondeur où nous n'aurions peut-être plus pied - je préférais ne pas envisager cette éventualité préoccupante avant d'y être contraint par l'évidence), nous devrions probablement dire adieu à tout ce qui se trouvait dans nos sacs, mais c'était ça ou la mort atroce par asphyxie dans la fumée noire et lourde, ce qui ne laissait pas la moitié d'un strapontin à l'hésitation. (Décidément, échapper au danger n'est pas si complexe et déstabilisant qu'on pourrait le penser : on n'a pas le choix, c'est facile.)"

Le Cosmonaute et (dans une moindre mesure) Vie et Mort de la jeune fille blonde avaient prouvé que Jaenada, au-delà de ses artifices parenthétiques et de son goût pour la digression burlesque, était capable de verser dans le tragique, de maîtriser cet art si délicat de raconter des choses sinistres en faisant mourir de rire. Inutile de dire que Plage de Manaccora, 16h30 enfonce remarquablement le clou de ce point de vue - son postulat de départ suffit à le souligner : surprise par le feu dans le petit coin d'Italie où elle passe ses vacances, une famille française se retrouve rapidement coincée sur la plage, cernée par les flammes. Si vous vous demandiez ce que ça fait de penser qu'on va y passer, et surtout lentement, en ayant bien le temps de se rendre compte que la mort vous lèche les orteils... la réponse est ici.

Il y a quelques mois Philippe Jaenada en personne nous avait annoncé ce livre comme "un roman sur la mort, qui nous frôle tout le temps – donc par contraste, un roman sur la vie, bien sûr, l’insouciance (celle qu’on a à tort, mais en même temps, et paradoxalement, celle qu’il est bon d’avoir)." Le moins qu'on puisse dire est que Plage de Manaccora tient cette promesse.

Pour la mort bien sûr, pas la peine d'être grand clerc pour l'entrevoir de chaque côté. Pour la vie aussi. Qui est là - en filigranes autant qu'entre parenthèses. Dans le ton, dans les digressions ou tout simplement dans le rythme trépidant du récit. Il aurait été tentant d'adapter le style Jaenada à la gravité du propos. Tentant, mais stupide. Car c'est dans le décalage permanent entre la lourdeur des faits et la légèreté avec laquelle ils sont racontés que réside tout l'intérêt du roman, dans cette narration épatante de fausse nonchalance et d'insouciance de façade - bah oui : tant qu'il y a de la vie...

Alors qu'il a pu arriver par le passé qu'on ait avec Jaenada la sensation que ça partait un peu dans tous les sens, qu'il parlait (très bien) pour ne rien dire, que la narration était en roue-libre... Plage de Manacorra et sa mécanique implacable se situent à l'exact opposé de cela : les digressions sont tout aussi nombreuses et foisonnantes qu'à l'accoutumée, mais elles servent redoutablement le propos, gavent les personnages d'humanité et confèrent tout son piquant à la situation. Pour aboutir à une espèce de summum de l'art jaenadien, où l'ironie se niche dans le moindre détail, dans la volubilité du narrateur comme dans l'absurdité des situations (cette femme qui fait tout pour sauver son livre... de Guillaume Musso, cette hystérie collective changeant en quasi héros le plus lâche des individus...) ; la montée en puissance du récit (à la technique ébouriffante) de cette journée en Enfer fait le reste. Oserai-je le dire ? On fond ! 

"... je n'ai pas pensé une seconde à mes romans. Il m'avait toujours semblé qu'ils étaient le cœur de ma vie, l'essentiel, et à l'instant de mourir, je les ai oubliés. Je ne me suis pas demandé si on continuerait à les lire, ce qu'ils deviendraient, ni si celui que j'étais en train de terminer serait publié inachevé, ça ne pesait plus rien, ça m'est sorti de la tête."


👑 Place de Manacorra, 16h30 
Philippe Jaenada | Grasset, 2009

11 commentaires:

  1. 100 % d'accord. (mais que se passe t'il avec cette fenêtre de commentaires ?)

    BBB.

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  2. Ce qui est excellent c'est que juste après que j'ai eu fini de lire cet excellent article google m'a affiché une pub pour les victimes d'accidents :)

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  3. Sinon le livre est très bon, mais on en a déjà parlé je crois (d'ailleurs elle en a mis du temps à paraitre cette critique !)

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  4. Je l'ai emprunté à la bibli la semaine dernière. Il me tarde de le commencer!

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  5. Je l'ai emprunté à la bibli la semaine dernière. Il me tarde de le commencer!

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  6. J'avais repéré ce roman grâce à sa couverture que je trouve vraiment très belle. Ton enthousiasme a fini de me convaincre. :)

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  7. C'est ma prochaine lecture à moi aussi puisque je l'ai acheté le WE dernier ! Le Golb, point commun entre PJ et JB, il fallait l'oser celle-là :-D

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  8. j'ai arrêté avec Bauer depuis longtemps (pas par désintérêt pour lui même en personne malgrè son super méga autonome téléphone portable et son 4X4, mais par désintérêt envers la télé, tout simplement, et puis j'étais trop triste quand le président noir est mort ;)) et j'ai commencé avec Jaenada avec ce roman. Je compte poursuivre avec Jaenada, et voir les saisons précédentes, qui parlent de chameau, de cosmonaute. Je ne dois pas aimer la violence, sans doute :)

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  9. BBB. >>> pour l'instant c'est la seule solution aux différents bugs sur Le Golb (courtesy of Benjamin).

    Lil' >>> oui... c'est vrai que ce billet traîne dans les brouillons depuis au moins le mois de février... aléas de la prog !

    Emma >>> comme je le disais plus haut... il y a certainement d'autres point communs mais bon, soyons réalistes : il n'existe aucun autre endroit au monde où on entende autant parler de l'un que de l'autre :-D

    Amanda >>> attention quand même, y'a de la violence dans certaines saisons (il y a d'ailleurs aussi une forme de violence dans Manacorra, tu me diras). Certes, pas de bombe atomique explosant sur le sol français (c'est une idée, d'ailleurs, Philippe... ^^)

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  10. Il est sur que je le lirais (surtout apres une critique aussi positive!) mais j'ai encore un peu de retard à rattraper sxur le programme (La grande a bouche molle m'attend depuis 2 mois...)

    Par contre, la couverture, elle est vraiment comme ca?? Parce que je trouve le concept purement génial.

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  11. La couverture est vraiment comme ça, oui (enfin la "sur-couverture", plutôt, car évidemment la couverture carton est normale)

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