mardi 30 juin 2009

Jean Teulé - Down & Up

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Jean Teulé ne le sait pas mais il est un ami du Golb. De longue date. Parce qu'on le suit depuis longtemps. Parce qu'il a toujours été. Parce que Darling. Parce Verlaine et parce que Villon. Parce qu'il a su arracher les deux plus grands poètes de tous les temps à l'étude universitaire rigide et, sans maniérisme et avec juste ce qu'il faut d'excès, leur redonner chair et sang. Oui, Teulé est un ami du Golb, et aux amis l'on pardonne tout - même leurs excès et la plupart de leurs travers.

C'est pourquoi l'on pardonne à Teulé Le Montespan, ce faux-pas - le premier en onze romans. Un livre raté à un point qu'on ne saurait dire, d'autant plus raté en fait que tout sur le papier concordait à en faire un grand Teulé. Le destin tragique de Louis Henri de Pardaillan de Gondrin, personnage excessif cocufié par le Roi en personne... ç'aurait dû être du pain béni pour l'auteur de Je, François Villon. Une promenade de santé. Ce n'est qu'une pantalonnade vaine aux couleurs aussi criardes que celles de sa couverture. Un roman facile et régulièrement vulgaire, qui réussit la (regrettable) performance d'appliquer exactement la même formule que dans Villon en obtenant le résultat inverse. On peut certes rire de tout (ce n'est pas moi qui irait prétendre le contraire), néanmoins Le Montespan plonge le lecteur dans un abîme de perplexité : comment peut-on à ce point passer à côté d'une intrigue, d'un personnage ?... comment peut-on louper la dimension tragique dans une telle histoire pour ne se concentrer que sur la loufoquerie (toute relative) d'une situation ? Le Montespan, le vrai, était un personnage pathétique et flamboyant ici réduit à une caricature digne d'un mauvais vaudeville. Bizarrement, on ne pense à aucune référence littéraire. On pense à la musique. A une reprise ratée, dont l'interprète passerait complètement au travers de l'intensité du morceau pour livrer une version second degré du niveau premier prime de la Nouvelle Star. Une incommensurable déception, certes relativisée par la plume toujours aussi alerte de Teulé - sa poésie habituelle en moins : impossible d'être vraiment touché par un personnage au final bien fade sous un vernis haut en couleur.

Le contraste avec Mangez-le si vous voulez, son dernier livre en date, n'en est que plus saisissant. Peut-être parce que ce nouvel opus contient tout ce qui manquait cruellement au précédent. Là, pour le coup, Teulé ne manque rien de la dimension tragique de son histoire. Il ne voit même qu'elle. Ne se laisse à aucun moment happer par le grotesque ou les bons sentiments. Atteint même, lorsqu'il se laisse aller à un trait d'humour, des sommets de sinistre absurdité. Au sens existentiel du terme, bien sûr. Le temps d'un roman court, intense, d'autant plus remarquable qu'il narre une anecdote que connaît par coeur n'importe quel amateur du XIXe qui se respecte (et vous savez à quel point j'ai travaillé sur cette époque), celle de la mise à mort sordide, monstrueuse, terrifiante... d'Alain de Monéys, jeune homme qui, sur un malentendu, devint le héros tragique de ce qu'il convient d'appeler désormais le massacre de Hautefaye. N'entrons pas trop dans les détails pour ceux qui ne connaîtraient pas l'histoire ; Jean Teulé est de toute façon là pour leur raconter ces deux heures de cauchemar éveillé, d'hystérie collective, de violence crue. Avec un art consommé de la mise en scène, du rythme et de l'ellipse. Le style, notamment, est impressionnant de rugosité et de nerf - on serait tenté de parler d'épure mais dans la foulée du Montespan le mot serait encore bien faible. Pas de fioritures ni de concessions, un récit dicté par l'urgence et la colère, faisant fi des interprétations oiseuses et des analyses de pseudo-historien... faisant fi surtout des travers de son auteur, qui renonce à son humour habituel pour livrer une fable suffocante de violence et de noirceur - son meilleur livre depuis Je, François Villon.


👎 Le Montespan (Pocket, 2008)
👍👍👍 Mangez-le si vous voulez (Julliard, 2009)

18 commentaires:

  1. Il est pas mal, ce nouveau Teulé. Mais bon, comme tous les Teulé (bons ou non), il manque quand même beaucoup de finesse, de subtilité. Il y va à fond, et dans ce cadre cela colle plutôt bien, mais cela fait vraiment gros sabots, tout de même.

    BBB.

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  2. Voilà une réflexion intéressante, et avec laquelle je suis en partie d'accord : s'il est vrai que j'ai beaucoup aimé "Darling" et "François Villon", par exemple, l'auteur donne l'impression de forcer sur certains aspects, et de verser dans l'horreur et le sordide plus qu'il ne serait peut-être nécessaire. Ceci dit, c'est aussi paradoxalement grâce à ce "travers" que ses romans acquièrent leur force et leur originalité, et je crois qu'ils ne seraient pas aussi marquants sans cela.

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  3. J'ai acquis le dernier en date, mais je ne l'ai pas encore lu. "Le Montespan" était en effet très mauvais.

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  4. bah tu me réconcilierais presque avec l'auteur (que tu m'as fait connaitre)après les auteurs de villon et verlaine, je suis tombée de très haut avec le montespan, (un gascon pourtant), je n'ai même pas fini le livre !!! bon celui-ci renoue avec ses bons jours tant mieux bien que le sujet soit un peu gore quand même :-)))

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  5. J'avais acheté Le Montespan pour décompresser un peu après Les Bienveillantes et j'ai aussi été déçu. Les divers interviews m'avaient vraiment donné envie de le lire mais sur le coup...bof, et puis la couverture est vraiment à chier (je sais c'est un détail pour vous, mais...).

    Une adaptation par Bernie Bonvoisin serait peut être plus adaptée. A suivre donc.


    Dom

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  6. Intéressant, de voir comme tout le monde semble s'accorder pour dire que Le Montespan était raté. D'autant plus intéressant qu'on a quand même lu beaucoup de commentaires positifs sur le Net...

    Sinon, pour répondre à BBB. et Ingannmic , ce n'est pas totalement et on pourrait supposer que Teulé ne choisit que des sujets propices à cet excès, et que dès que ce n'est pas tout à fait le cas (Le Montespan, donc) le masque tombe... mais c'est beaucoup moins schématique que ça : Bord cadre, Ballade pour un père oublié sont des romans moins connus, que peut-être vous n'avez pas lus, dans lesquels Teulé se montre tout à fait capable de finesse, de subtilité et même de poésie...

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  7. Dom >>> j'avais lu que c'était de Caunes qui faisait l'adaptation ? ...

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  8. Je n'ai effectivement pas lu ces deux-là, mais je n'ai aucun doute sur les capacités de J.Teulé à faire AUSSI dans un autre registre, même si visiblement, avec "Le Montespan", ce n'est pas une réussite...

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  9. Thomas:

    Ah oui en effet, un petit billet en date de juillet 2008 le confirme:

    Antoine de Caunes réalisera prochainement son cinquième long-métrage, l'adaptation sur grand écran du roman de Jean Teulé "Le Montespan". Daniel Auteuil y tiendra le rôle principal, celui du "cocu le plus célèbre du XVIIe siècle."

    On verra...


    Dom

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  10. Je me doutais bien qu'Auteuil serait dans le coup, s'agissant d'un personnage de plus de 40 ans...

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  11. Ah tiens (salut Sinaeve !), on vient de me l'offrir l'antropophage histoire dordognote, mais je l'ai pas encore ouverte. Faut que je finisse une série de nouvelles assez strange que tu connais sûrement : La Jeune détective de Kelly Link

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  12. Comme ça tu auras un endroit où te plaindre si tu n'aimes pas ;-)

    (Kelly Link, oui, c'est assez strange en effet...)

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  13. Je continue avec ma gêne au sujet de Jean Teulé. Dont, paradoxe, j'aime l'écriture.
    Après le plus sombre du plus sombre de Verlaine et Villon
    Après La violence envers les femmes (d'actualité)
    Le suicide
    La mise à mort horrible d'un pauvre type
    etc ..
    Sur quelle vague du sordide va t-il encore surfer ?

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  14. Et moi je continue à ne pas comprendre ta gêne. Je ne vois pas le problème. As-tu déjà essayé de lister l'inspiration de Zola au fil de ses romans ? C'est bien plus sordide que la bibliographie de Jean Teulé (ou de beaucoup d'autres). S'intéresser aux plus noires pulsions de l'âme humaine, essayer de les comprendre, du moins de les cerner... n'est-ce pas le devoir de l'artiste et n'est-ce pas ce que les plus grands font depuis des siècles ? Je ne comparerais certes pas Teulé à Zola, mais cela participe de la même impérieuse nécessité chez l'écrivain.

    De plus - et pour conclure ce vibrant plaidoyer ;) - ton commentaire est malgré tout extrêmement réducteur, et assez injuste. "surfer sur la vague" a une connotation extrêmement péjorative, il me semble, et injuste au sens où Darling (par exemple) est un roman vieux de dix ans inspiré par une femme de sa connaissance, et pas une fiction putassière inspirée par une envie de vendre des tas de bouquins (d'ailleurs à l'époque Teulé n'était pas un gros vendeur, et ne l'a pas plus été après ce livre). Réduire le Magasin des suicides à une manière surfer sur la vague du suicide est d'autant plus faux qu'il n'y a pas spécialement plus de vagues de suicides aujourd'hui qu'il y a dix ans, et que le livre n'en fait en aucun cas l'apologie (il a d'autres défauts). Idem pour les poètes, je ne vois pas trop sur quelle mode Teulé a bien pu "surfer" !

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  15. C'est drôle ...tu as complètement raison. Pourtant quelque chose me dérange que je n'arrive pas à préciser et qui peut-être alors ne concerne que moi et il y serait pour rien peut-être ?
    Quelque chose qui aurait résonné lors d'une lecture et que du coup j'ai retrouvé dans les autres livres.
    Je sais laquelle, c'est "Ô Verlaine". Verlaine le poète pervers et brutal. J'ai perdu là, Verlaine le poète sensible.
    J'm'en va y réfléchir : )

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  16. Heu ....ne pense pas que je croyais que Verlaine était un ange : )

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  17. Bon bah... tiens-nous au courant de tes réflexions ;-)

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  18. Pas d'accord avec toi sur Le Montespan, même s'il ne vaut pas bien sûr Villon.
    Quand au dernier, un livre voyageur est en route et devrait prochainement faire halte à la maison, j'ai hâte de m'y plonger.

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