mercredi 6 mai 2009

The Wire - There Is a Game Over the Game...

La saison 3 de The Wire s'ouvre sur l'épisode le plus drôle de la série à ce jour : au cours d'une séquence atteignant un sommet dans le burlesque Herc & Carv, désormais à la brigade des stups, poursuivent pendant des heures ce qu'ils croient être un dealer tandis que le vrai dealer continue tranquillement son bonhomme de chemin... et comme si ça ne suffisait pas, les deux zozos ne parviennent même pas à attraper le faux dealer, trop rapide et futé pour eux.

On en pleure de rire, et en même temps c'est on ne peut plus révélateur du ton et du constat d'échec permanent de la série : quoiqu'ils fassent les flics ne mettront jamais un terme à la délinquance, et plus spécialement au traffic de drogue. Ce que le "parrain" Barksdale résume dès la première demi-heure par le laconique The Game is the game. Les dealers seront éternellement plus malins et mieux organisés, et le personnage de String, chef du cartel par intérim', dealer le matin et passionné d'économie le soir, symbolise à la perfection cette inventivité permanente du délinquant qui même dans le cas d'une vraie belle ordure (car String, sans doute le personnage le plus pourri de la série, n'hésite pas à faire tuer si besoin est) force l'admiration du spectateur comme de la police. D'ailleurs, plus cette saison 3 déroule, plus cette dernière à l'air d'une bande de blaireaux aussi sympas qu'incapables face à des dealers géniaux. Avec le retour aux sources/rues de Baltimore, et donc l'exhibition du ratage presque complet des opérations de la saison 1, c'était inévitable.

Aussi l'intérêt sera-t-il plus cette fois-ci de décortiquer l'économie parallèle de la banlieue qu'une enquête de plus en plus abstraite (ça fait quand même plus de deux ans que les gars sont sur le coup...), d'explorer les rouages du système judicaire américain (beaucoup plus basé sur la politique et le pouvoir que le nôtre) et de l'escalade progressive vers la violence au sein des cités... des thématiques très lehaniennes, tellement lehaniennes que j'ai songé une seconde à écrire un article de comparée (ça faisait longtemps). Heureusement ou malheureusement, j'ai la mauvaise habitude de regarder les crédits... et c'est non sans stupeur que je me suis aperçu que Dennis Lehane avait collaboré activement à cette saison (ainsi qu'aux deux suivantes, mais de manière plus ponctuelle). On n'ira pas lui mettre sur le dos tous les bons côtés de l'intrigue de la saison trois (il reste une guest), cependant force est d'admettre que de par sa noirceur et sa violence elle se rapproche nettement plus que les précédentes de l'univers de ses romans. D'une manière plus générale, elle se démarque d'ailleurs assez vite des deux premières : le rythme, notamment, y est beaucoup plus soutenu, l'action plus présente... manière habile de franchir le cap délicat du troisième opus. Car il n'y a dans l'histoire des séries que trois manières (ça tombe bien) de négocier une saison 3 : soit on s'effondre complètement, soit on revient aux sources, soit on fait exploser les codes établis précédemment. The Wire propose un compromis tout à fait convaincant entre ces deux dernières options : elle revient aux origines, aux dealers, à la rue, redonnant la parole à certains des personnages phares de la première saison (Avon, Omar, Bubbles...), sans jamais se répéter pour autant puisqu'elle y renouvelle considérablement aussi bien ses thématiques que sa galerie de caractères, multiplie les points de vue afin de relativiser tous ceux qui existaient déjà (notamment les chefs, bien plus sympathiques que par le passé). Au centre de toutes les attentions : McNulty, qui fait un come-back fracassant après une saison 2 qui l'avait vu passer au second plan. Et qui se dévoile enfin sous son véritable jour, celui d'un personnage fantasque et attachant... mais aussi d'un authentique petit merdeux dont les problèmes avec l'autorité frôlent la pathologie. McNulty, c'est un peu le champion de la contradiction : il adopte systématiquement le point de vue contraire à celui de la majorité, peu importe qu'il ait raison ou tort d'ailleurs, il agit moins par conviction que parce qu'il est un maniaque obsessionnel, l'archétype du surdoué dilettante qui ne sait pas quoi foutre de ses talents. Il est flic... mais il serait journaliste ou boucher que ça ne changerait pas grand-chose, le pauvre est totalement inapte à la société - bien plus que les dealers qu'il poursuit en fait !

C'est l'autre enseignement de la saison : ces dealers marginaux se croient ininsérables (et la société alentour le croit aussi), alors qu'ils pourraient tout à fait s'insérer dans une économie de marché, qu'ils recréent de manière spectaculaire au sein des rues. Le basculement de Stringer du côté visible de l'iceberg ultra-libéral est pour le moins parlant : business is business, semble-t-il à deux doigts de dire à chaque apparition. Peu importe qu'on vende de la drogue, des armes ou de l'immobilier. Seul compte l'argent, qui n'a ni odeur ni couleur ni origine. On a tellement d'argent propre aujourd'hui qu'on n'a plus vraiment besoin de faire de l'argent sale, lâche-t-il au bout d'un moment. On n'aurait pu mieux résumer cette saison (probablement) de transition : seul compte désormais le pouvoir. Plus String devient respectable, plus il apparait comme infiniment plus dangereux que ses (exs) copains gangsters. Sa quête effrénée de pouvoir semble ne pas devoir connaître de limites... et ça tombe bien : la saison 4 est centrée sur les élections municipales. On a hâte. (*)


👑 The Wire (Saison 3 : Hamsterdam)
créée par David Simon
HBO, 2004


(*) Et pour vous dire si cette saison est riche, j'en ai fait deux pages sans jamais dévoiler l'élément essentiel de l'intrigue !

18 commentaires:

  1. A mon avis la meilleure saison (je n'ai pas vu la 5, ceci dit, la faute à ce foutu classement des séries)

    BBB.

    RépondreSupprimer
  2. La 5 est nettement moins bonne (on y reviendra)

    RépondreSupprimer
  3. J'ai personnellement une petite préférence pour la saison 4 (la chute fut d'autant plus rude avec la 5 :-/).
    Mais c'est sans doute parce que je suis sentimentale et que dans la 3, on ne fait pas vraiment dans le sentiment !

    RépondreSupprimer
  4. Les saisons 3 et 4 de the Wire sont, sans le moindre doute, ce que j'ai vu de plus exceptionnel à la télévision. Le début de la série est bien, la fin n'est pas mauvaise, mais ce milieu, quelle apothéose. Comme Cissie, je crois que la saison 4 est encore meilleure, avec sa kyrielle de personnages, son émotion si brute...

    Cordialement,

    RépondreSupprimer
  5. Ce qui est cool c'est que comme tu "diffuses" les critiques au compte goutte on a largement le temps de voir les épisodes avant, ce qui est toujours agréable pour lire après tes excellentes analyses.

    RépondreSupprimer
  6. J'étendrais la remarque de Bloom à la saison 5.

    Ces trois saisons forment vraiment un block narratif à l'intérieur du feuilleton, du moins est-ce l'impression que j'ai.

    RépondreSupprimer
  7. Cissie & Bloom >>> La 3 m'a laissé un souvenir assez ému aussi, à vrai dire. Il y a énormément de passages qui m'ont touché, surtout la fin, les séquences avec Colvin, String... le côté shakespearien est tout de même très prononcé dans cette saison...

    Leïa >>> ce n'est pas faux, mais en même temps si on va par-là la 3 fait directement écho à la 1. Seule la 2 est un peu marginale...

    RépondreSupprimer
  8. Oui mais il n'y a pas une telle cohésion entre la 1 et la 3 (je trouve). Cette dernière peut presque être vue sans connaître celle d'avant, pas comme les deux suivantes.

    RépondreSupprimer
  9. Moui... non, je trouve que tu exagères. Beaucoup de choses, notamment dans les interactions entre personnages (l'obsession des flics pour String, la relation McNulty/Daniels, tout ce qui entoure la famille Barksdale) ne sont pas du tout compréhensibles si on n'a pas vu la saison 1...

    RépondreSupprimer
  10. Je t'accorde que je l'ai vue il y a longtemps.

    RépondreSupprimer
  11. Je trouve aussi le suivi relatif dans la dernière saison, qui semble vraiment, quoique très bonne, rajoutée "comme un cheveu sur la soupe".

    RépondreSupprimer
  12. Oui... je l'ai trouvée un peu inutile d'ailleurs, parce que n'ajoutant pas grand-chose à l'aura démentielle de la série...

    RépondreSupprimer
  13. Plus que la 5 à voir :)
    Beaucoup aimé la 4. Peut-être un peu moins que la 3. Les "méchants" charismatiques me manquent. String, Avon. Ils avaient une super classe, alors que Marlo est bien plus terne (comme dit Lester lui-même dans ta citation). Chris, pareil. Snoop par contre, elle a la classe (okay : classe n'est pas vraiment le mot).

    RépondreSupprimer
  14. Mdr. Ta pop-up à la con favorise les erreurs de fil ! :(

    RépondreSupprimer
  15. Oui... je t'avoue que je me suis moi-même fait avoir, l'autre jour...

    RépondreSupprimer
  16. La meilleure saison quant au scénario, et au traitement de plusieurs sujets :

    - l'initiative policière de C. est à la fois un super coup scénaristique mais fait également réfléchir en vrai sur la question.

    - l'inclusion d'un suivi politique de ces enjeux rajoute une couche dans le mille-feuille sur la vie de cette ville, avec des petites sorties à la west wing

    - et des personnages tip top.

    Voilà mes commentaires sans dévoiler d'intrigue, difficile, mais je m'inspire du boss avec un billet qui a réussi à ne rien spoiler, bravo !

    RépondreSupprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).