mardi 31 mars 2009

Junot Diaz - Geek... Stink... Breath...

[Un article déjà paru en février 2008, réédité à l'occasion de la sortie française de cet excellent roman...] De deux choses l’une : soit vous connaissez déjà Junot Diaz, auquel cas non seulement vous êtes quelqu’un de très cultivé mais en plus vous êtes une personne hyper volontaire qui a appris l’anglais entre ses deux bouquins pour être sûre de ne pas louper le suivant (hypothèse moins improbable qu’il y paraît de prime abord, vu qu’onze ans séparent les deux livres de Diaz) ; soit vous ne le connaissez pas, auquel cas ne lisez même pas cet article : foncez directement vous procurer son recueil de nouvelles Drown (Los Boys, 10/18 pour l’édition française) et revenez me voir après. Vous ne serez pas déçus, je vous assure.

Donc : pour ceux qui sont restés avec nous, voici The Brief Wondrous Life of Oscar Wao, premier roman (qu’on avait fini par ne plus attendre) d’un jeune prodige ne l’étant plus tellement. Jeune, pas prodige. Pour la prodigiosité ça, pas de problème, Junot Diaz s’y entend. Il vient de publier sans conteste l’un des livres les plus originaux de l’année écoulée. Un Objet Littéraire Non Identifié qui dans un monde parfait (c’est à dire un monde qui connaîtrait quelque chose à la littérature) ferait la couverture de tous les magasines consacrés aux livres (et qui donc se prétendent littéraires – s’il vous plaît ne riez pas). Un livre complètement barge, mélange invraisemblable de John Irving, de Russell Banks, de Philip Roth et de Will Self…

…un peu de mal à visualiser le cocktail ? Bougez pas : j’écrase mon joint et j’arrive.

Oscar Wao, disions-nous. Un gars très ordinaire : un geek tout ce qu’il y a de plus… bedonnant et mou, un vrai brave type (et par brave type on veut dire : il est brave, quoi) qui bouffe du Star Trek , des mangas et de la fantasy bas de plafond, aime les théories du complot et les grands idéaux (surtout lorsqu’il ne les comprend pas). On dira pour faire court que c’est un pendant chômeur et gras du bide du narrateur de The Book Of Ash (roman tout aussi enthousiasmant s’inscrivant dans la même lignée intello-goguenarde). Son rêve ultime ? Devenir le Tolkien dominicain. Tout un programme.

En somme, Oscar, c’est un peu le loser du lycée dans un teen-movie, sauf que lui est resté coincé dans le film et n’aura pas été convoqué pour American Pie 2. D’ailleurs il n’a jamais été convoqué nulle part, on se demande même si une partie de son esprit n’est pas restée bloquée au lycée. Ses considérations existentielles sont bien entendu absolument hilarantes, on l’imagine d'ailleurs assez vite sous les traits de Jorge Garcia (un des héros de Lost), mais en noir.

Le roman s’articule donc autour de lui, au sens littéral du mot : autour. Le chœur de narrateurs tourne en rond autour d’Oscar Wao, ici repose le vrai tour de force du bouquin : si vous avez toujours pensé que parler des autres n’était qu’une manière de parler de soi-même, Junot Diaz vient d’en apporter la preuve éclatante. Lola (la sœur) ou Beli (la mère) prennent la parole, elles parlent autant d’Oscar que d’elles-mêmes – et à travers elles c'est tout un pan de la société dominicaine de l’avant du pendant et de l’après Trujillo (dictateur militaire qui terrorisa le pays durant plus de trente ans) qui s’offre aux yeux ébaubis d’un lecteur qui ne s’y attendait pas du tout. Partis pour quelques heures de franche rigolade nous voilà subitement embarqués dans un univers bien plus sombre, poisseux voire même flippant, ou comment en démarrant sur une histoire d’une légèreté totale un vrai bel héritier de Philip Roth fait basculer la balance du côté d’une gravité matinée d’ironie. C’est qu’il en faut de l’aplomb pour narrer le viol de Beli et tous les drames qui s’ensuivent sans sombrer dans le pathos, le plombant ou le grandiloquent… avant de rebondir sur autre chose, de s’éloigner puis de revenir, donnant l’impression d’un livre éparse qui ne manquera pas de sembler incohérent au lecteur le moins attentif. A qui l’on répondra : mais notre monde lui-même n’est-il pas souvent incohérent, déviant, illogique ? Les petits drames n’existent pas sans les grandes tragédies, et inversement. Telle est la demi-morale de l’histoire : il n’y a pas de marche du monde sans des gens pour mettre un pied devant l’autre. Pas super originale, comme morale, on en conviendra. Pas super originale - mais essentielle… et racontée d’une manière qui, elle, ne manque ni de panache ni d’inventivité. Sacré bon livre.


👍👍 The Brief Wondrous Life of Oscar Wao [La brève et merveilleuse vie d'Oscar Wao] 
Junot Diaz | Riverhead Books, 2007

15 commentaires:

  1. Je l'ai lu, depuis la première "édition" de votre article. Et je dois dire que j'ai été enchanté, un des meilleurs livres que j'ai lus, ces dernières années. Il était un peu abrupte en anglais. J'espère que la traduction française lui permettra d'avoir le succès qu'il mérite.

    BBB.

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  2. LE bassiste de Metallica a été dictateur de République Dominicaine? La vache, on en apprend tous les jours.

    Sinon, j'avais adoré "The Book of Ash", et j'aime bien les trucs avec des geeks... Je vais me laisser tenter.

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  3. BBB. >>> effectivement, le livre mérite d'être un grand succès. En revanche j'ignore ce que vaut la traduction (qui n'a pas dû être une tâche aisée).

    Guic' >>> en même t'as vu sa tête, au Robert ? Dictateur je ne sais pas, suspecté d'être un serial-killer, probablement !

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  4. Los Boys, c'était vraiment bien.

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  5. RECTIFICATIF : C'était TRES bien :-)

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  6. Après un tel article, je suis obligée de l'acheter. Mais le commentaire de BBB me fait hésiter : VO ou VF ? Je vais regarder qui l'a traduit.

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  7. C'est vrai que je n'ai pas du tout penser à comment serait la traduction, ce qui n'était pas malin, d'autant que j'avais trouvé la VO assez ardue...

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  8. ben quel enthousiasme !!! habituellement je n'aime pas les nouvelles alors le roman plutôt ;-)

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  9. J'arrive de chez Ingannmic où j'ai appris que tu avais lu ce livre (en fait j'aurais du m'en douter, il n'y a pas un livre que j'ai lu que tu n'as pas déjà lu ;-) Sauf peut-être des mauvais :-)

    Cet article est super. J'adore tes chroniques littéraires, toujours très inspirantes. Dommage qu’elles se fassent de plus en plus rares ;-)

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  10. [bah ouais... je l'ai lu et en plus, ça fait deux ans :-)]

    C'est gentil, Emma !

    Mais elles ne se font pas "de plus en plus rares", ce n'est pas tout à fait vrai. Quand j'ai créé la rubrique "séries" c'est vrai qu'il a fallu rogner quelque part (les semaines n'ayant pas pu être étendues malgré mes prières répétées ^^), mais depuis un an le rythme d'un à deux articles litté par semaine est toujours respecté.

    Après je vais te dire un secret - ça reste entre nous au fond des archives - mais ces pauvres critiques drainent tellement peu de visites et de commentaires que ça ne m'encourage pas vraiment à en poster plus (ce que je pourrais faire, je n'ai ni plus ni moins d'articles litté d'avance que d'articles zic ou séries). Quand je me donne un mal de chien pour écrire un article sur DH Lawrence et qu'il végète à 5 coms et un nombre de visites pathétiques, ça me donne plus envie de carrément fermer cette rubrique plutôt que de l'agrandir :-/

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  11. ... ce qui serait très dommage, mais compréhensible finalement... Je m’interroge également sur la raison d’être d’un blog comme le mien, qui génère je sais pas combien de fois moins de trafic que ton blog, et que la majorité des blogs littéraires d’ailleurs. J’aurais tendance à expliquer ça en disant que les gens ne lisent plus, même si certains blogs font des scores impressionnants...

    Cela dit, qui me fera découvrir des auteurs et des livres que je ne connais pas si tu ne fermes ta rubrique livres :-(

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  12. Tu me flattes... je te fais découvrir tant de choses ?!

    Pour Junot Diaz, à la rigueur, quand j'en ai parlé en janvier 2008 personne ne le connaissait... mais même lui, tu ne l'as pas découvert par moi ;-)

    Sinon rassure-toi, je ne vais pas fermer la rubrique. Des fois dans un moment de déprime... mais rien de sérieux. Grâce à toi (et quelques autres). D'ailleurs tu auras noté qu'il y a eu deux chroniques littéraire cette semaine ;-)

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  13. Kwa !? Fermer la rubrique littéraire ? Pour pouvoir parler plus des "Experts", peut-être ?
    Non mais ça va pas la tête ?
    Attention, je veille. ;-)

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