lundi 18 août 2008

William R. Burnett - King of Colombus

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Moins couru que certains grands classiques de Burnett (Little Caesar, Romelle, The Asphalt Jungle...), King Cole est pourtant, sans le moindre doute possible, l'un de ses romans les plus exceptionnels (et c'est uniquement parce qu'on ne les a pas tous lus qu'on n'écrira pas qu'il s'agit là de son meilleur... en dépit d'une tentation aussi forte que proportionnelle à notre enthousiasme !). Plongée abyssale dans les méandres de la politique, ce roman noir haletant, influence évidente de Dennis Lehane pour son A Drink Before the War, est tout simplement stupéfiant de puissance et de virtuosité.

Articulé autour de la lutte sans merci que se livrent deux candidats au poste de Gouverneur de l'Ohio, il met en place un puzzle aussi machiavélique que visionnaire - à tel point qu'on peine à croire que sa publication remonte au milieu des années trente : confronté pour la première fois à un adversaire menaçant réellement ses intérêts, le sortant James Dean Cole décide d'employer les grands moyens et d'agiter... le spectre du terrorisme (en 36 !) pour mieux promettre une politique sursécuritaire et emporter haut la main sa troisième victoire électorale consécutive. Face à lui le tonitruant Fielding crie bien sûr à la démagogie, à la manipulation, au fasciscme... mais rien n'y fait. Car Cole a dans sa botte un atout-maître : homme discret à l'image plutôt lisse, bon petit soldat de son parti, peu habitué à faire des vagues et apprécié y compris de ses adversaires, il bénéficie d'une crédibilité exceptionnelle qu'il met à profit au long d'une étonnante campagne jouant sur la stigmatisation subtile et les plus irrationnelles des peurs.

« Son parcours avait été des plus classiques
(...) ... au bout de trois renouvellements de poste, il s'était présenté aux élections sénatoriales et avait été battu. Il s'était représenté à l'élection suivante sous l'étiquette « républicain libéral » et avait été élu, puis réélu. Aujourd'hui il était Gouverneur. C'était à peu près tout ce que l'on pouvait dire de lui. Ce n'était ni un primitif ni un intellectuel. Il s'exprimait correctement, sans affectation, avec cette pointe d'accent du Midwest qui irrite tant les gens de New York. Il n'avait pas commis de graves erreurs, à la différence de certains gouverneurs, et n'avait pas obtenu d'éclatants succès. Il gouvernait correctement. »

Impossible pour le commentateur comme pour le lecteur de démêler le vrai du faux, de distinguer la sincérité de la pose, bref : de percer l'ambiguïté de ce caractère en tout point fascinant. Seule certitude : Cole joue un jeu dangereux qui pourrait bien rapidement le dépasser. Qu'importe dans le fond qu'il allume sciemment un incendie pour mieux jouer les pompiers ou que ses provocations lui explosent au visage à son corps défendant : King Cole, thriller politico-diabolique exécuté par un maître portraitiste (on lui doit, excusez du peu, le scénario de Scarface - le vrai - celui de Hawks), trouve suffisamment d'échos dans l'époque contemporaine pour s'imposer comme une lecture aussi captivante que dérangeante. De celles qui nous hantent longtemps une fois le livre refermé, de celles dont on éprouve le besoin de parler autour de soi, que l'on ne manque jamais de citer et qu'on aimerait recommencer aussitôt pour mieux les comprendre. Chef-d'œuvre ?

Chef-d'œuvre !

👑 King Cole
William Riley Burnett | 1936, Rivages pour la présente édition

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