jeudi 14 août 2008

Il ne croyait pas si bien dire...

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°19]  
I Am Legend [Je suis une légende] - Richard Matheson (1954)

Richard Matheson fait partie de ces auteurs qu'il faudra toujours rappeler de relire, en dépit de redécouvertes, de revivals, d'adaptations cinématographiques ou de citations en tout genre... qui finalement n'auront jamais suffi à lui faire avoir la place qu'il mérite, tout le moins dans notre doux pays : fantastique y rimera sans doute encore, toujours et éternellement avec sous-littérature... un comble de la part d'un pays où naquit le genre ! Bref : revenons à Matheson.

Sans doute aurais-je pu, quitte à l'évoquer, choisir un livre moins connu, moins couru que celui-ci - adapté deux fois (plutôt bien) à l'écran en trente ans. Seulement voilà : I Am Legend est son meilleur, il n'y a pas vraiment photo et le choix est difficilement discutable.

Surtout, on ne dira jamais assez l'impact prodigieux que ce roman plus que cinquantenaire a eu simultanément sur :

- les histoires de vampires

- le fantastique

- la science-fiction

- la littérature

- le cinéma

- six générations de lecteurs.

C'est bien simple : I Am Legend fait partie de ces rares livres qui, non contents de faire figure de classiques, sont également de ces chefs-d'œuvre incontournables remportant systématiquement l'adhésion du lecteur, quels que soient son âge ou son goût. Intemporel et indémodable, il donne un brin de sens à l'expression consacrée de sept à soixante-dix sept ans et réconcilie presque systèmatiquement le détracteur de la SF avec ce genre honni - lorsqu'il ne réconcilie pas carrément le lecteur occasionnel avec la littérature.

Rien que ça.

Survival avant la lettre, il met en scène un héros (quasi) muet - Robert Neville - perdu dans un univers apocalyptique ravagé six mois plus tôt par une épidémie mortelle qui (en gros) a tué tout le monde, sauf ceux qui se sont transformés en vampires - ceux-là c'est Neville qui les a tués. Las : les vampires, c'est un peu comme les mauvaises herbes ou la Star Academy - une saloperie qui revient de manière cyclique pour nous hanter. Dont acte : chaque soir ils reviennent, et chaque nuit Robert lutte pour sa vie (le jour, il fait le ménage - dans tous les sens du terme).

C'est tout ? Oui, c'est tout - mais c'est déjà beaucoup. En quelques cent-cinquante pages Matheson révolutionne le genre fantastique et écrit la plus captivante histoire de vampires qu'on ait jamais lue... sans doute parce que justement ça n'en est pas une. En l'occurrence c'est au moins autant une histoire de virus mortel que de mort-vivants, d'où l'impact évoqué plus haut : des films de Romero à Stephen King en passant par la série Lost, le Vampires de Carpenter ou le supra navet Underworld... tous doivent quelque chose à I Am Legend - ce tout petit roman qui contient en germe non seulement cinquante-cinq ans de littérature frissonnante... mais aussi cinquante-cinq ans de cinéma frissonnant, de B.D. frissonnante, cinquante-cinq ans de tout ce que vous voudrez frissonnant. Et en même temps, il est inimitable. Son univers dévasté a été vu mille fois depuis, son Robinson cyber-punk en a inspiré des centaines de milliers d'autres... aucun n'a jamais su lui arriver à la cheville. La faute à une écriture au cordeau, étonnamment moderne pour un livre des années cinquante, et à une construction diabolique qui fait mouche à chaque nouvelle lecture : quatre petits flashes d'un mois couvrant trois années dans la non-vie de Neville, cela semble bien peu et c'est amplement suffisamment pour tenir en haleine.

Principale différence avec les huit-mille-sept-cent-quatre-vingt-sept thillers horrifiques sortis depuis ? Dans I Am Legend, il ne se passe quasiment rien. Ce n'est pas la succession de rebondissements qui captive, mais au contraire l'absence (par moment presque totale) d'action digne de ce nom. De l'attente naît l'inquiétude, de l'inquiétude naît le doute et du doute naît l'angoisse. Tel est le secret que n'ont pas su capter la plupart des imitateurs de Matheson : de même qu'il n'est pas toujours nécessaire de crier pour se faire entendre ce n'est pas la surenchère d'horrible qui crée l'horreur, mais son juste dosage ici réduit au strict minimum (quelques climax minutieusement répartis). Dans le monde de Robert Neville, la terreur peut naître d'un rien, d'une ampoule qui vacille ou d'une montre qui s'arrête. Ce système de l'angoisse bâti en trois pages et reposant en gros sur quatre éléments (solitude/silence/mystère/danger au dehors), l'auteur n'a plus qu'à l'étirer jusqu'à briser la mécanique dans un final si improbable que même après avoir lu le livre trois fois on finit quand même K.O. debout. Le plus fou étant que dans ce final, comme dans tout le livre, il ne se passe pas grand chose non plus... question de bon dosage, bien entendu.


Trois autres livres pour découvrir Richard Matheson :
A Stir Of Echoes (1958)
Ride the Nightmare (1959)
Hell House (1971)
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