jeudi 17 juillet 2008

Primal Scream - Inégal, comme d'hab'

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Cet été, le britrock a visiblement décidé d’être décevant. Précédé d’un following impressionnant, le très attendu second album des Dirty Pretty Things a fait long feu. Sa seule véritable performance : être si insignifiant qu’on n’attendra probablement plus jamais rien d’un groupe qui, il y a deux ans, avait surpris même ses détracteurs avec un premier opus redoutable.

Primal Scream n’est évidemment pas tout à fait dans la même problématique, puisque le vétéran Bobbie Gillespie publie ce mois-ci son neuvième album sous l’avatar primitif (le dixième, même, selon qu’on considère ou non Echo Dek, excellent disque de remixes house, comme une œuvre à part entière). Sa problématique à lui est peut-être pire encore, puisqu’après plus de vingt ans de carrière et une belle capacité à se renouveler le groupe se retrouve désormais à la croisée des chemins : que faire en effet une fois que vous avez déjà publié un classique psychédélique (Screamadelica, 1991) puis quelque chose s’approchant du disque de rock électronique ultime (XTRMNTR, en 2000) ? En 2006, Primal Scream avait trouvé une réponse logique : publier un chef d’œuvre de rock’n’roll – tout court. Riot City Blues, hommage aux Stones de la grande époque, était venu rappeler aux jeunes pousses de la scène anglaise qui étaient les patrons… et quel bonheur que ce disque simple et brut de décoffrage, gorgé de blues et obèse de groove, dont les "Dolls" et autres "Suicide Sally & Johnny Guitar" résonnent encore aujourd’hui à nos oreilles !


Or connaissant Primal Scream, on se doutait qu’il ne fallait pas trop attendre de Beautiful Future, nouvel opus à la pochette particulièrement hideuse et au titre disons… pas très inspiré. Pourquoi ? Tout simplement parce que la discographie de Bobbie Gillespie parle pour lui : après chaque grand disque, l’ex-batteur de Jesus & Mary Chains s’est retrouvé à publier plus ou moins consciemment un album de transition qu’on qualifiera poliment d’inégal. Les deux moins bons albums de Primal Scream, il suffit d’y regarder attentivement, sont bel et bien les deux qui ont suivi les chefs d’œuvre susmentionnés, qui Give out But Don’t Give up (sympathique mais dispensable pastiche de George Clinton paru en 1994), qui Evil Heat en 2002 – ce dernier tellement raté qu’il faillit bien mettre un terme définitif à la carrière d’un groupe qui mit quatre longues années pour s’en relever. Il n’est donc pas illogique de trouver avec Beautiful Future un disque intéressant mais imparfait, contenant de bonnes choses et d’autres plus délicates, et ce n’est pas un casting soi-disant alléchant (Josh Homme, Linda Thompson) qui fera oublier l’embauche du producteur de… Bloc Party.

Passons donc sur le côté cocktail jet set de l’album (trait qu’il partage d’ailleurs avec – quelle surprise – Evil Heat) pour constater d’emblée que Beautiful Future est à peu près tout ce que Riot City Blues n’était pas – à moins que ce ne soit l’inverse. Prouesse s’il en est, Gillespie est parvenu à écrire tout à la fois la suite et l’antithèse de son album de 2006, on appréciera la performance et on encouragera les fans à l’acheter tant Beautiful Future semble infiniment plus raccord avec la touche Primal Scream de la période 1995-2000. Mais ceci posé qu’en gardera l’auditeur occasionnel – pour ne pas dire exigeant ? Primal, avec la modestie qu’on lui connaît, s’est appliqué à publier un disque de « rock moderne » (!), c’est à dire qu’il a viré tout ce qui était sympa dans Riot City Blues pour n’en garder que quelques grooves ici ou là ("Zombie Man"), une force de frappe occasionnelle (époustouflant – et trompeur – single "Can’t Go Back") et une énergie évidente. On nous dira que ce n’est pas si mal – soit. Il n’empêche qu’il manque l’essentiel, à savoir non pas uniquement le côté hard blues qui nous mit à genoux il y a deux ans… mais le « roll » justement accolé au « rock ». La fête, le délire, le sexy… la spontanéité ! Toutes choses absentes de ce Beautiful Future surproduit, toutes choses manquantes lorsque Gillespie joue les crooners romantiques ("Over & Over") ou se perd dans une espèce d’électro-blues répétitif (au titre pourtant prometteur : "Necro Hex Blues"). Le danger qui se dégageait du groupe lorsqu’en nage il entamait le furieux "Nitty Gritty" semble définitivement s’en être allé pour céder la place à un cyber-rock plus prévisible, sans doute plus dans l’air du temps mais nettement moins excitant – comme si Riot City Blues n’avait été qu’un exercice de style ponctuel destiné à ne jamais avoir de suite.

Dont acte : sur le (très bon) titre éponyme, Primal Scream donne précisément l’impression de reprendre les choses là où il les avait laissées avec Evil Heat, ce qui ne serait pas un problème en soi si Beautiful Future n’en reproduisait pas par moment les lourdeurs (poussif "Suicide Bomb") et ne sombrait pas sur une bonne moitié de l’album dans cette torpeur électronico-hypnotique inhérente à ses disques les moins inspirés ("Beautiful Summer"). C’est d’autant plus rageant que les deux premiers morceaux ("Beautiful Future" et "Can’t Go Back") plaçaient la barre très haut et que, par éclats, Primal Scream retrouve toute sa majesté : merveille de perversion portée par un beat entêtant, "I Love to Hurt (You Love to Be Hurt)" aurait pu sans rougir figurer au générique du classique Vanishing Point (1997). Quant à "The Glory of Love", nul doute qu’il trustera les charts anglais pendant un bon petit moment. Il n’empêche que le bilan comptable n’y est pas vraiment, puisqu’au final seule une moitié de l’album (en gros : la première) convainc vraiment, le reste donnant un peu l’impression que le stonien Gillespie est passé sans tambour ni trompette de Let It Bleed à Undercover. Drôle de gaillard tout de même que celui-ci, qui à raison d’un chef-d’œuvre tous les cinq ans ravive une flamme qu’il s’empresse d’éteindre aussi sec. Ainsi, si en 2006 Riot City Blues était venu rappeler au monde que Primal Scream n’avait jamais vraiment été un groupe d’électro… cette année Beautiful Future vient quant à lui rappeler que Primal Scream n’a jamais été un groupe – tout court. Mais un side-project qui a dégénéré, une énorme blague dépourvue (c’est désormais une évidence) du moindre fil conducteur ou de la moindre direction artistique – sinon la folie souvent communicative de son auteur.


Beautiful Future
Primal Scream | Atlantic, 2008