mardi 22 juillet 2008

Préséances - Bien mal acquis...

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Les préséances du titre, ce sont celles de Florence et de son frère - le narrateur. Deux enfants de ce qu'on appellerait aujourd'hui classe moyenne nourrissant pour seul et unique rêve celui de s'élever un jour au rang de la grande bourgeoisie. Et pour ce faire ils décident d'adopter une solution vieille comme le monde, la littérature et la prostitution : Florence va épouser ce qu'elle appelle elle-même un fils. Mais c'est compter sans Augustin...

Augustin, c'est ce personnage intrigant, marginal, orphelin surdoué et sarcastique que le narrateur va prendre pour ami dans le seul but de railler ces mêmes fils de dont il souhaiterait tant faire partie. Florence et lui vont se servir d'Augustin pour servir leurs propres intérêts... précipitant (bien évidemment) une chute qu'ils n'auraient osé imaginer...

Préséances est un Mauriac étonnant en cela qu'il est l'un des rares à proposer une intrigue (très) construite, s'éloignant ainsi du concept souvent éprouvé par l'auteur et se résumant en gros à un caractère = un roman. Mieux encore, on trouvera ici un semblant de suspens - ce qui est d'autant moins courant chez un auteur ayant bâti la quasi-totalité de son œuvre sur la notion d'ironie tragique. Pour autant sera-t-on tenté de le suivre passionnément dans cette voie si inhabituelle ? Non, pas vraiment. Pas tellement à cause du livre en lui-même, remarquablement maîtrisé et dont on peine à croire que la redoutable architecture ait été élaborée par l'auteur de Genitrix ou du Nœud de vipères (dont les intrigues tiennent sur des confetis pliés en quatre) ; mais tout simplement parce que l'idée géniale de Mauriac pour créer la tension, si elle était sans aucun doute tout à fait novatrice en 1921, est devenue complètement éculée depuis que Robert Bloch a usé du même procédé dans Psycho et que Hitchcock en a fait l'un des films les plus populaires de tous les temps. Du coup lorsque Mauriac décide de supprimer le personnage principal à mi-parcours on se contente au mieux de hausser un demi-sourcil tant on l'a vu venir à des kilomètres.

Sans doute ce défaut (qui n'en est d'ailleurs pas un) est-il négligeable, le bon sens près de chez vous déclarant souvent ceci : les livres ont été écrits à l'époque où ils ont été écrits. Il n'empêche que ça fait à peu près le même effet que lorsqu'on écoute en stéréo un disque enregistré en mono - quelque chose de particulièrement perturbant. Mais qui n'empêche pas, heureusement, le style de Mauriac de faire toujours mouche. Ce style décidément incroyable, en apparence si classique et qui, chaque fois, prend le lecteur à revers pour mieux cogner au moment où il s'y attend le moins. L'idéal pour narrer (comme d'habitude) une histoire de vengeance implaccable, dont la principale spécificité est d'être cette fois-ci racontée non par son commanditaire - mais par son odieuse victime. Dire que l'on prend plaisir à voir l'étau se resserrer serait en-dessous de la vérité : c'est à peine si l'on ne réprime pas un soupir de coupable satisfaction lorsque le couperet s'abat sur cette imbuvable paire d'arrivistes aux attitudes étonnamment contemporaines. L'aristocratie, la vraie, n'est pas dans le sang ou dans la généalogie, mais dans le talent, l'intelligence et la culture. Telle est la morale de cette ténébreuse histoire. Un lieu commun ? Possible. Mais possible aussi que ce genre de chose soit toujours bon à rappeler, surtout lorsque le radoteur est pourvu d'un tel panache...


👍👍 Préséances
François Mauriac | Le Livre de Poche, 1921