mardi 20 mai 2008

Arnaud Cathrine - Mon démon s'appelle William

Il fallait oser l'écrire, cette Route Midland. A vrai dire seules deux catégories d'auteurs peuvent se permettre un tel culot : les génies et les fous. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Arnaud Cathrine est tout à fait sain d'esprit.

Car culot il y a à s'attaquer ainsi si frontalement et si ouvertement à la Statue du Commandeur de la littérature du vingtième - William Faulkner. Et plus encore à la Statue du Commandeur de tous les livres de Faulkner : As I Lay Dying. Le chef-d'œuvre absolu. Dont on rappellera poliment qu'il est en toute modestie le plus grand livre du vingtième siècle (à égalité avec Le Voyage au bout de la nuit).

Soit, La Route de Midland n'est assurément pas le premier roman à s'inscrire dans la lignée de cet archi-classique. Mais là où la plupart des auteurs s'en inspirant font tout pour éviter de se frotter à la comparaison...Arnaud Cathrine, jeune auteur aussi doué que mégalo, n'essaie en aucun cas de le contourner. Il s'y colle avec une opiniâtreté stupéfiante - jugez plutôt : La Route de Midland est un livre polyphonique dans lequel l'un des narrateurs (Will) trimballe un cadavre à travers le pays (dans son camion frigorifique). Sauf à décalquer complètement la trame de Faulkner on pouvait difficilement faire plus proche.

Et pourtant le texte parvient à s'inspirer de sans jamais paraître un succédané, ni une version Canada dry ni un hommage maladroit. Le fait est que la prose limpide et sensuelle de Cathrine ne ressemble absolument pas à l'écriture torturée du Maître, et que son histoire charrie des obsessions bien plus personnelles et intimistes : ce n'est pas n'importe quel corps que Will transporte - mais celui de son frère. Ray, foudroyé dans la force de l'âge et avec qui il entretint des relations complexes et conflictuelles - des relations fraternelles en somme. Aux alentours de ce Salt Café où il fait escale pour finalement rester, il va se lier avec Singer, adolescent au regard décalé, autre voix de ce roman compact et sinueux. C'est bien sûr une autre forme de fraternité qui naîtra de cette rencontre, une forme plus achevée, plus douce et plus idyllique que celle (trop réelle, trop rugueuse) unissant autrefois Will et Ray. Une fratrie nouvelle, en quelque sorte, dans laquelle cette fois-ci le charisme de Will ne sera plus réduit à la portion congrue. On n'est jamais prophète en son pays - c'est bien connu. En sa famille non plus.

Reste à comprendre pourquoi Will a fait escale au Salt Café. C'est la question qui se pose dès la première page, c'est celle qui mettra le plus de temps à trouver une réponse. Ce n'est peut-être pas la question essentielle, mais c'est en tout cas celle où le talent de l'auteur se révèle le plus remarquable, cette manière de distiller les clés sans en avoir l'air, d'arracher les souvenirs à l'enfance pour leur donner une symbolique. C'était déjà l'un des points forts des Yeux secs (le premier roman de Cathrine). C'est désormais une marque de fabrique, qui achève de cimenter ce roman assez exceptionnel.


👍👍 La Route de Midland 
Arnaud Cathrine | Verticales, 2001