lundi 24 mars 2008

Black Sabbath - Nativity in Black

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Entre nous... existe-t'il plus agréable manière de fêter Pâques qu'en chroniquant la réédition d'un disque de Black Sabbath ? Rois du satanisme crétin et de la messe noire la plus folklorique, les quatre zozos de Birmingham méritaient bien un hommage digne de ce nom (d'autant que la dernière fois qu'on en a parlé sur Le Golb ils étaient sur le déclin). Peut-on se lasser de retrouver Ozzy jeune, mignon ou pas loin - et chantant juste ? Peut-on se lasser d'écouter « N.I.B. » en haussant les sourcils et murmurant dans sa barbe : Non mais vraiment... : ils ont fait PEUR ces mecs ?
 
Ah ça oui, ils ont fait peur. Plus que n'importe quel groupe anglais de leur génération. D'authentiques parias aujourd'hui devenus des papis richissimes, au point qu'on en oublierait presque que Black Sabbath s'est fait piler par la critique et s'est vendu à à peine plus de personnes que n'en comptaient les familles des membres du groupe - comme tous les grands disques ? sera t'on tenté d'ajouter. Euh... oui et non.
 
Oui parce que Black Sabbath est un disque d'une classe infernale, de ceux qu'on réécoutera probablement encore dans un siècle.
 
Non parce que si l'on a coutume de dire (votre serviteur en tête) que les six premiers Black Sab' sont indispensables... la réécoute attentive permet de noter que cet opus number one est tout de même un cran en-dessous des cinq merveilles à venir (à commencer par Paranoïd, six mois plus tard).


Comprendre par-là que tout en étant très au-dessus de la mêlée post-hippie de l'époque (on peine à croire que ce disque est sorti en même temps que - au hasard - le Beard of Stars de Tyrannosaurus Rex), ce premier Black Sabbath montre un groupe encore débutant, se cherchant pas mal, se trouvant heureusement souvent : le terrible « Sleeping Village » percute, rythmique heavy et mélodie ciselée. La Sabbath's touch un poil avant l'heure ? Sur « The Wizzard », Tony Iommi n'a pas encore totalement trouvé son son, mais on devine qu'il n'en est pas loin : ralentissant et alourdissant les riffs de Led Zep et de Cream, il propose ce qui se rapproche le plus en 1970 de ce qu'on appellera dès l'album suivant heavy-metal. Tout en conservant encore un héritage blues indiscutable... ce qui peut être vu selon les goûts comme un avantage ou un inconvénient. Disons que ceux qui détestent le metal peuvent adorer Black Sabbath - ce n'est pas du tout un disque de metal au sens contemporain du mot... mais un disque de hard-rock (on trouvera même un break d'harmonica des plus groovy sur « The Wizzard »). Le revers de la médaille étant que sur la ligne de départ peu de choses différencient le groupe d'Ozzy du Dirigeable susmentionné, dont l'influence est criante sur un « Wasp ». Il est même plutôt amusant de noter qu'on pouvait difficilement trouver morceau moins emblématique de Black Sabbath que... l'éponyme « Black Sabbath ».
 
Pour l'heure c'est donc clairement ailleurs qu'il faut chercher la vraie révolution sabbathienne. Dans l'esthétique, bien sûr - rock gothique avant la lettre. Sous l'impulsion du malin Iommi et de son bouffon de chanteur, le groupe mènera jusqu'à son paroxysme l'idée de musique du Diable : désormais le satanisme-rock va devenir une chose sérieuse, ce qui prête bien entendu à sourire avec le recul. N'empêche : le côté franchement premier degré de la chose trouvera preneur auprès d'un public de plus en plus large au fil des mois, rebutant une autre moitié encore sous le choc des récentes atrocités mansoniennes. Pochette mythique façon vieux film de la Warner (pour l'anecdote : on raconta à l'époque que la vieille femme - qui ressemble étonnamment à Ozzy de nos jours - apparut seulement après développement de la photo), textes crytpo-goth tranchant avec le sex & drugs d'antan :
 
Big black shape with eyes of fire
Telling people their desire
Satan's sitting there, he's smiling
Watches those flames get higher and higher
Oh no, no, please God help me
 
...oui, je sais : c'est forcément amusant. On n'a pas croisé à ce jour beaucoup de satanistes réclamant l'aide du Seigneur, de même qu'on se demande dans quel mesure un sataniste serait censé avoir à ce point les chocottes face à son icône. Mais c'est justement cela qui rend Black Sabbath si sympathique : presque quarante ans après on n'a toujours pas vraiment compris comment ces gugusses ont pu à ce point être pris au sérieux. Ozzy Osbourne, peut-être plus encore qu'un Alice Cooper, repoussa les limites du concept de personnage scénique. Quitte à devenir une parodie de lui-même - soit. Il n'empêche : son don naturel pour le grand-guignol et une voix tout à fait hors-normes (à laquelle Billy Corgan doit beaucoup) compensent sur Black Sabbath les carences de musiciens encore en phase d'apprentissage. Et le résultat s'avère au bout du compte ébouriffant.
 
Cerise sur l'œuf de Pâques : cette réédition (la troisième, ce qui peut sembler énorme mais reste finalement peu pour un groupe de cette époque) propose enfin un contenu identique à celui du vinyle d'origine. Soit donc avec « Evil Woman », mais surtout avec les vrais faux medleys (sept des onze morceaux étaient concentrés sur les deux mêmes pistes  que les éditions américaines avaient odieusement fragmentées). Comment bouder son plaisir ?


👍👍👍 Black Sabbath 
Black Sabbath | Vertigo/Warner, 1970