lundi 28 janvier 2008

The Information - Entre chien et loup

...
« Tu passes combien d’heures par jour sur tes romans ?
-    Comment ça ? […] Ca dépend.
-    C’est la première chose que tu fais en te levant ? A part le dimanche ? Alors, combien d’heures ? En moyenne ? Deux, trois ? […] Combien ça t’a rapporté ? Tes romans. Dans toute ta vie ? […] Et ça fait combien de temps que tu as commencé ta carrière ? […] Bon ! Tes romans te rapportent environ soixante pences de l’heure. Une femme de ménage peut aisément prétendre à sept ou huit fois plus. […] A quand remontent tes derniers droits d’auteurs ?
-    Huit ans. Tu veux que j’arrête d’écrire, c’est ça ?
-    Ça me paraît tout indiqué, oui… »

... ce passage terriblement cruel et terriblement juste (on déconseillera à tous les écrivains qui nous lisent de jamais se livrer à ce genre de calcul !) n’est pourtant qu’une brimade parmi beaucoup d’autres endurées par Richard Tull, écrivain dont on ne lit rien et dont on ne publie plus grand chose, artiste de valeur se jugeant méconnu et cachetonnant en temps que critique incendiaire de service pour un magazine lui versant à peine de quoi de vivre. Malheureux dans son métier, méprisé par sa femme… Richard file lentement mais sûrement d’amertume en rancœur et de rancœur en dégoût, laissant se cristalliser toutes ses déceptions autour de son ami Gwyn… un écrivain, lui aussi, des plus médiocres a priori mais auréolé d’un immense succès, blindé de fric et merveilleusement heureux dans son couple. Suivant une destinnée aussi cruelle qu’implacable leurs trajectoires se croisent parfaitement, l’un grimpe quand l’autre chute… et plus les jours passent plus la jalousie de Richard se métamorphose en haine féroce – induisant l’urgente nécessité d’une vengeance.

Alors Richard commence à réfléchir. Etablit des paramètres. Evalue les risques. Echafaude des hypothèses. Cherche le meilleur moyen d’atteindre son rival sans se découvrir, sans risquer un retour de bâton. Séduire sa femme ? Attenter à ses jours ? Rédiger une critique incendiaire ? Difficile de trancher. Et c’est là, alors qu’il finit par ne plus s’y attendre, que survient l’information

Difficile voir impossible de ne pas penser en lisant ce livre à l' Amsterdam de Ian McEwan. Les deux livres ont beaucoup de traits communs, beaucoup de lignes convergentes, tant dans l'univers foire aux vanités du XXeme qu'ils dépeignent que dans leurs personnages aussi antipathiques les uns que les autres ; leur construction machiavélique, leur sujet (vengeance teintée de jalousie viscérale), leur réflexion sur l'art et le statut de l'artiste ou leurs atmosphères étouffantes...  même les plumes de deux auteurs présentent d'étonnantes similitudes, renforcées par un ton général ici et là violemment (et drôlatiquement) désabusé. Par conséquent il y a de fortes chances pour que ceux qui ont aimé Amsterdam aiment The Information - et inversement.

A ce petit jeu cela dit, Martin Amis s'avère tout de même un brin moins convaincant que McEwan, notamment parce que son intrigue est plus confuse et son sens du rythme moins irréprochable : un peu trop long, ce roman à succès. Un peu trop lent - aussi. Pourtant il parvient à capter l’attention du lecteur, parce que tout comme dans Amsterdam le meilleur n’est pas tant dans la vengeance que dans tout ce qui la précède, dans sa préparation méthodique (et parfois absurde), dans les situations ubuesques qu’elle induit également. Ici, Amis reprend l’avantage : sa cruauté forge autour de l’intrigue un étonnant ressort comique, satire vitriolée d’artistes nombrilistes et épinglage en règle du book-business anglo-saxon. On peut aimer ou non ces histoires d’écrivains totalement égomaniaques (certains y sont complètement réfractaires, et il est vrai qu’on attend encore le livre sur un écrivain qui serait un brave type sympathique et ordinaire), mais on ne pourra pas nier qu'Amis s’y connaît mieux que personne en la matière et brocarde avec une réelle virtuosité les travers de ses collègues (et les siens, on l’imagine).

Qu’importe dès lors si passée la page cinq-cents (sur six-cent-cinquante) l’intrigue traîne un peu en longueur, et qu’importe si le soufflet de la vengeance retombe un peu sur la fin (tout comme dans… Amsterdam , du reste). Le jeu en valait la chandelle, et The Information tient avant tout par son atmosphère vénéneuse et délicieusement ironique (le quatrième de couverture de mon édition parle d’un livre irrésistiblement drôle… n’exagérons rien ! tout de même !). Très bon roman.


👍👍 The Information 
Martin Amis | Vintage, 1995