vendredi 2 novembre 2007

Mort aux Pixies !

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi)- N°76]
Surfer Rosa - Pixies (1988)

Quelque part entre Dieu et Platini, il restait une place que Frank Black occupa longtemps dans le Panthéon Perso de votre serviteur. S’il a fini par la perdre, c’est moins parce qu’il est redevenu à la mode que parce que sa manière de le redevenir (en reformant le groupe qui n’aurait jamais dû se reformer par excellence… le groupe d’autant plus mythique qu’il était impensable qu’il se reforme…) a littéralement piétiné les fantasmes de millions de fans jusqu’alors acquis à sa cause en dépit d’une carrière solo régulièrement indigente.

Car les reformations, on le mesure à présent qu’elles sont devenues presque aussi nombreuses que les debut albums, ont ceci de commun avec les fantasmes qu’elles ne sont pas faites pour être vécues au-delà de nos pensées les plus intimes. On en rêve certaines, on en imagine d’autres, on en souhaite même parfois une ou deux… mais en réalité on est rarement prêt à savoir de quoi il retourne. C’est sans doute pourquoi l’amateur de rock est toujours si complaisant avec le héraut paumé ou overdosé : il est finalement assez content que Kurt Cobain soit mort avant de faire des LPs solo guitare–voix au coin du feu (variante : transformer Nirvana en mastodonte des stades publiant des albums aussi plaisants que prévisibles).

Une telle considération peut sembler au mieux provocatrice, au pire cynique. Mais finalement, on sait tous qu’elle contient une part plus qu’importante de vérité. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil aux contemporains de Cobain ou Morrison ou Hendrix… de voir ce qu’ils sont devenus… ou bien de voir ce que Joy Division a fait une fois Ian Curtis enterré… ou tout simplement de penser à Elvis. Qu’est-ce qui nous permet de croire une seule seconde que Kurt ou Jim ou Jimi auraient échappé à ce schéma absolument immuable, sinon précisément la certitude confortable qu’on n’aura jamais la preuve du contraire ?

Mais l'amateur de rock est un doux rêveur. Quitte à réécrire l’histoire, il préfère la réécrire dans un sens agréable – comment l’en blâmer ? Et préfère donc fermer les yeux. Ne pas écouter ces démos de fin de carrière montrant un Cobain saturé de tics de composition à rendre jaloux certains artistes deux fois plus vieux. Oublier qu’il n’a fallu que trois albums aux Doors pour publier le boursouflé The Soft Parade. Rejeter l’hypothèse (pourtant pas infondée) selon laquelle Hendrix aurait tout à fait pu virer prog s’il avait vécu trois ans de plus.

Comme quelques autres, Frank Black n’a pas eu la chance de mourir jeune. Pire : à l’instar de quelques élus, il a eu la déveine qu’aucune mort prématurée ne vienne frapper les membres de son groupe. Comble de la fatalité : ses disques solos ont quasiment tous été des bides. Autant dire que dès lors le pauvre gars cumulait toutes les tares requises pour transformer l’un des plus grandes mythes du rock’n’roll en vulgaire plaisanterie.


Cependant les Pixies ont une excuse, et non des moindres : ils n’ont jamais eu la moindre notion du bon goût. Non contents de ne jamais cracher sur une chemise à fleurs ou un bandana, ils ont réussi à produire une musique presque aussi géniale que hideuse. De laquelle Surfer Rosa (dont rien que le nom fout les jetons) restera éternellement le plus remarquable manifeste.

Faire carrière avec une voix incapable d’aligner deux notes justes suffit en soi à forcer le respect (ce qui me permet de dire que je vous trouve tous très durs avec le pauvre Jean-Louis Aubert). Mais les Pixies ont poussé le vice encore plus loin : ils ont réussi à faire carrière avec DEUX VOIX totalement fausses et parfois à la limite du supportable. Une prouesse, une vraie. Que Surfer Rosa, de « Gigantic » en « Caribou », n’a de cesse d’exalter.

Ce n’est pas la moindre qualité de cet album mythique, et fort heureusement ce n’est pas la seule. Mais on peut néanmoins affirmer sans trop se tromper qu’autant personne n’a jamais vraiment compris pourquoi le Velvet n’avait pas eu de succès en son temps, autant personne n’a jamais été réellement surpris de ne pas entendre « Broken Face » à la radio. Jusqu’à cette putain de reformation, le groupe de Boston n’a jamais essayé d’être plaisant, et c’est tout de même principalement pour ça que même son moins bon disque (Bossanova) n’a jamais été notoirement massacré : avec leurs chansons pas possibles, leurs textes totalement surréalistes et leurs têtes de nerds sous perfusion Sid Vicious, ils étaient tellement anti-commerciaux que ça nous les rendait éminemment sympathiques. Même leurs détracteurs ne les critiquaient que du bout des lèvres, parce qu’il fallait tout de même être d’une sacrée mauvaise fois pour ne pas admettre que « Where Is My Mind? » était la chanson la plus charmante de tous les temps.

Au sein de la génération juste après la mienne (c’est à dire, en gros : la première génération à ne pas les avoir connus en activité), on a évidemment trouvé des gens extrêmement mal élevés pour essayer de nous expliquer en quoi les Pixies était un groupe extraordinaire, avec une véritable dynamique directement héritée de Joy Division, et qui en bon Groupe Alterno Culte Ultime digne ce nom servait de chaînon manquant entre le punk et le grunge. Ces petits cakes (désolé mais il n’y a pas d’autre mot) ont osé essayé de nous démontrer, à nous les vrais fans des Pixies, que « Cactus » était un rock spatial dans la droite filiation T-Rex, que les harmonies dissonantes de « Break My Body » jetaient des ponts entre le Velvet de White Light/White Heat et Nevermind, que leur musique avait influencé toute une génération de jeunes rockers très sérieux… bref ces morveux prétentieux sont venus nous raconter la Messe alors que pour nous elle était dite depuis longtemps. La presse rock s'est mise à citer les Pixies à tout bout de champ alors même qu'on ne les avait jamais vus en couv' d'un journal à l'époque où ils existaient. Tout le monde a trouvé un truc à raconter sur nos héros. Pour tout dire aucun d’entre nous n'a vraiment mangé de ce pain-là, on avait bien compris que le mythe avait déjà remplacé la passion et qu’on voulait nous normaliser notre petit groupe bizarre. On ne s’est pas laissé faire, et c’est à ce moment là qu’on a décidé de créer une société secrète visant à réhabiliter les Pixies comme ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : le groupe nul qu’on adore quand même. On avait presque réussi quand cet abruti de Frank Black a proposé à Kim Deal et aux autres de remettre ça, le temps d’une série de concerts où ils jouaient bien et chantaient presque toujours dans le ton.

En somme en 2007, les Pixies ont fini par devenir ce que les petits cakes ont toujours voulu qu’ils soient.

Raison de plus pour s’envoyer fissa un petit « Tony’s Theme ».


Trois autres disques pour découvrir les Pixies :

Doolittle (1989)
Bossanova (1990)
Trompe le monde (1991)