vendredi 9 novembre 2007

Magyd Cherfi - Des coups de poings dans les poches

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Cela va t’il devenir une tradition ?

Pour la seconde fois un album de Magyd Cherfi est suivi de peu de la publication d’un livre. Second disque solo, second recueil de nouvelles... quatrième coup de cœur. Après Livret de famille répondant à la sublime Cité des étoiles, La Trempe répondra-t-il donc au très bon Pas en vivant avec son chien ?

Oui et non. Oui car Cherfi gravitera sans doute éternellement autour des mêmes trucs. Non car Pas en vivant avec son chien, œuvre délicate et autobiographique, s’attachait à chroniquer (entre autres) sa vie d’adulte quand La Trempe retrouve avec bonheur les univers de l’enfance et de l’adolescence.

Depuis toujours plus auteur que musicien, propriétaire d’un univers tout à fait personnel, Magyd jette un regard distancié et tragi-comique sur le gamin qu’il n’est plus (il a pris quarante-cinq ans cette semaine), sur un monde – celui de sa jeunesse – qui paraîtra tout à la fois complètement intemporel et désespérément révolu, à des années lumières des clichés sur les banlieues mais tout aussi distant des happy days niaseux à la Picouly. Nostalgie au cœur, donc, mais nostalgie intelligente : pas de celles qui regrettent le sempiternel bon vieux de temps ; la nostalgie d’un âge souvent ingrat mais idéalement insouciant plutôt que celle d’une soi-disant époque bénie.

Dans la droite ligne émotionnelle des ses meilleures chansons (« Quinze ans », « Les Grandes » ou la récente et incontournable « Place de France »), La Trempe questionne le passé pour tenter de comprendre le présent, verse parfois dans le politisé mais jamais dans le politique, et étonne moins par la force de son contenu que par la justesse de la plume. Car si fondamentalement il s’agit peu ou prou du même recueil que Livret de famille, le style s’est considérablement affiné. Emancipé du carcan chanson qui le bridait un peu il y a trois ans, l'auteur parvient désormais à revêtir la même dimension poétique qu’en vers. Un travail d’orfèvre qui achèvera sans doute d’imposer Magyd comme un véritable écrivain, et qui surtout se suffit à lui-même et s’avèrera susceptible de séduire y compris les lecteurs ne s’intéressant pas à son œuvre musicale. Parce qu’en se contentant de parler de ce qu’il connaît, il touche régulièrement à l’université : les premiers amours, les premières conneries et les premiers échecs, dans cet ordre ou un autre, ça ne touche pas que les gosses d’immigrés et/ou de banlieues. On évitera donc les comparaisons stupides, la classification auteur engagé ou l’étiquette porte-parole de ceci ou cela : Magyd Cherfi appartient à cette catégorie d’artistes tout à la fois singuliers et universels. Ecrire autre chose serait faire insulte à son talent, quand bien même il n'est pas exclu que quelques bobos trouvent ces textes superbement exotiques et remarquaaaaaaablement pittoresques.

En somme un excellent recueil doublé d’une excellente surprise. Car si l’on n'a jamais douté du talent de Magyd, personne sans doute n’aurait misé sur lui pour publier l’un des livres les plus excitants, poignants et vivants de cette rentrée littéraire sous Prozac.


👍👍 La Trempe,
Magyd Cherfi | Actes Sud, 2007