vendredi 19 octobre 2007

François Bon - Back Pages

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On ne peut pas avoir des idées originales tous les jours.

Ce commentaire ne s’adresse pas à François Bon, mais à moi-même, qui vous écris à cette seconde en écoutant Before the Flood. C’est une d’une banalité déconcertante, et en même temps comment faire autrement après avoir lu cet étrange bouquin ? Dylan y est si remarquablement capté qu’on peut difficilement résister à la tentation de se servir de son œuvre colossale en guise de bande son.

Si je n’aime pas le mot fan et ignore à partir de combien de disques d’un même chanteur on doit s’en parer, il est certain que j’adore Dylan, découvert très tôt mais réellement apprécié sur le tard – je pense qu’avant mes vingt/vingt-et-un ans j’étais encore un peu trop tendre pour bien en saisir toute la portée. Trop jeune pour ne pas le trouver trop vieux, si j’ose dire. Aujourd’hui je suis devenu une espèce de collectionneur malade du Zim tout en évitant consciencieusement de perdre mon esprit critique (vous ne lirez donc jamais ici, rassurez-vous, d’apologie de Saved – je crains de ne pas être encore assez snob pour le réhabiliter) ; si j’en ai si rarement parlé dans ces pages, c’est je suppose parce que je n’ose pas trop m’y attaquer tant j’ai peur de me viander.

Cette peur de se cogner au gros morceau que constitue Dylan n’habite visiblement pas François Bon (ou alors il l’a domptée), et c’est tant mieux. Il y a même quelque chose de très courageux (parce qu’un brin kamikaze) dans le fait de publier cette biographie si peu de temps après que le plus grand songwriter de tous les temps ait lui-même ses offert ses Chroniques. Que je n’ai d’ailleurs pas encore lues, et ce n’est peut-être pas plus mal pour aborder le livre de Bon avec recul. Lequel avait déjà sévi il y a quelques années avec un bouquin sur les Stones qui m’avait… un peu emmerdé, pour tout dire. J’y avais trouvé un côté « accumulation » foutrement peu rock’n’roll, encore moins stonien. Pour Dylan j’avais néanmoins un a priori positif qui s’est rapidement avéré judicieux : il va sans dire que le poète rock par excellence se prête autrement mieux à la littérature que l’affreux Keith Richards.

Ceci n’est cependant pas la seule raison rendant Bob Dylan : une biographie plus que recommandable. Car le traitement appliqué au Zim se révèle rapidement très différent de celui appliqué aux Stones. Si le concept ce que l’artiste représente pour moi est relativement similaire (quoique plus discret, me semble-t-il), l’aspect strictement biographique est pour sa part nettement moins prononcé, se limitant à une tranche très courte de la vie de Dylan (en gros la période où il a le plus fasciné la planète - et on l'imagine l'auteur, soit donc les années 60/début 70), à tel point que le terme biographie accolé au titre sonne plus comme une boutade façon Magritte que comme une définition. Cet aspect captivant prend même régulièrement le pas sur le sujet en lui-même, tant on prend autant de plaisir à la prose de l’auteur qu’à ce qu’il raconte, se disant parfois qu’on se fait un plaisir coupable, que ça n’est finalement pas très journalistique… or justement, voilà qui soulève une question très intéressante : un biographe doit-il forcément être une espèce de narrateur omniscient super soûlant parce qu’il nous expose tout plein de trucs qu’on n'ira jamais vérifier vu que c’est pas notre boulot ? N’a t’il pas le droit, le devoir même, de transcender son sujet – quand bien même ce sujet serait-il une Statue du Commandeur éminemment analysée et commentée ?

Ces questions sont contenues en creux dans le travail de François Bon, et je pousserai même le vice jusqu'à dire qu’il n’y avait sans doute pas sujet plus approprié que Dylan pour les suggérer au passage. Car si le livre prend régulièrement un côté explosé le rendant indéfinissable, c’est autant parce que Bon est un écrivain au style unique que parce que Dylan lui-même est indéfinissable, explosé. Une figure aussi labyrinthique que son œuvre est épurée, un roman à clés à lui tout seul. L’écrivain l’a bien compris, qui l’aborde par cercles concentriques plutôt que de manière linéaire, et qui en cela s’approche sans doute bien plus de la substantifique moelle de Dylan que les deux cents érudits qui l’ont précédé. Si j’osais la référence balourde je dirais qu’il est le wiseman, et eux les fools. Tout en évitant l’écueil préféré des biographes de tout crin (mais là encore : s’il a tout le fait le droit au titre de biographe, il ne l’est clairement pas au même niveau ni pour les mêmes raisons), celui consistant à théoriser un truc qui ne doit surtout pas l’être sous peine de contresens – en l’occurrence la musique rock. Chapeau.

La question qui ressort de tout cela étant sans doute : à qui s’adresse ce livre si agréable à lire et si difficile à saisir ? Ce n’est probablement pas celui-ci que je conseillerais à un amateur de Dylan souhaitant en apprendre plus sur sa vie au sens strict de l’expression. Je ne me risquerais pas non plus à le recommander à quelqu’un qui ne connaîtrait quasiment pas Dylan – cela dit je suis évidemment super mal placé pour deviner comment il le recevrait… tout en étant convaincu qu’il faut quand même connaître un minimum le sujet pour appréhender l’ouvrage (puisque la forme est justifiée par le fond…). Les fans de Dylan (je veux dire : les FANS, les hardcore, les-qui-vénèrent) détesteront sûrement – en même temps tout le monde sait qu’il n’y a rien de plus con qu’un fan hardcore, lequel grosso modo déteste automatiquement n’importe quoi de non-consensuel écrit sur son idole (qu’importe si le cas échéant l’idole n’a franchement rien de consensuel). En revanche les amoureux de Dylan, eux, s’y retrouveront à coup sûr, car je dois quand même le souligner avant de conclure : je n’avais absolument aucune envie de lire une bio de Dylan. Une vraie. Quarante-cinq ans après son premier album ce n’eût pu être qu’un pavé totalement indigeste, abrutissant voire même contreproductif. Il me semble que quand on se contente d’aimer un artiste sans pour autant le vénérer, on est difficilement capable de se taper six cents pages d’anecdotes (les meilleures biographies étant du reste souvent les plus concises)… De ce point de vue si le Dylan de Bon ne peut en aucun cas prétendre au titre de meilleur bouquin sur Dylan, je lui accorde en revanche avec plaisir le titre de meilleure œuvre littéraire sur Dylan (c’est aussi bien, peut-être même mieux). Il apporte à l'évidence quelque chose de plus, de différent. D'unique.

…oui, je sais. Ça donne l’impression que le bouquin est hyper ciblé. Je ne sais pas si l’on peut vraiment dire ça car je doute qu’il ait été envisagé comme tel, mais je dois bien reconnaître que comme toute œuvre ovni celle-ci n’a que très peu de chances de faire consensus. Si ce n’est auprès de gens qui à la fois : sont passionnés de littérature et de musique, sont captivés par les liens unissant les deux, ne sont pas rebutés par les proses poétiques, apprécient suffisamment Bob Dylan…

…ainsi bien sûr qu’auprès tous ceux qui se sont éclatés à pratiquer le crossover des blogs et ne l’ont pas juste dit pour me faire plaisir ! Ceux-là ne seront peut-être pas extrêmement nombreux, mais ils auront bien du mal à lâcher le nouveau livre de François Bon.


👍👍👍 Bob Dylan : une biographie 
François Bon | Albin Michel, 2007

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