vendredi 29 juin 2007

The Black Man Procession

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°72]
American III : Solitary Man - Johnny Cash (2000)

Beaucoup d'entre vous le savent : votre serviteur est un fou du Cash. Le chanteur, bien sûr. Je ne voudrais pas me vanter, mais je dispose sans doute d'une des plus énormes collections de disques de Johnny Cash de tout l'univers (voire même un peu plus loin sans doute, mais restons modestes). Rien de plus logique que de retrouver l'un d'eux ici donc. Quoique : si j’étais malhonnête, j’aurais sélectionné les quatre American de Johnny Cash, le cinquième posthume et le coffret quatre CDs Unearthed. Parce que l’ensemble, quoique forcément monotone si on se l’envoie d’un coup, est indispensable. Un peu comme une œuvre à l’intérieur de l’œuvre. Pas moins. On ne connaît pas vraiment Johnny Cash si l'on pas entendu ces disques... et à l'inverse on ne le connaît pas plus si l'on pas entendu ses disques majeurs des années 60.

La légende (et le ridicule biopic) a (ont) déjà raconté l’histoire. Comment Cash, totalement has-been, est subitement revenu à la mode, poussé en studio par les coups de pieds au cul conjugués de son épouse June Carter, de son disciple Nick Cave et du producteur Rick Rubin. Il n’y a pas grand-chose à rajouter à ce sujet, je pense : Johnny Cash était tombé dans l’oubli depuis un bail (pas loin de vingt ans) lorsqu’il enregistra American Recordings, premier volet d’une série de chefs-d’œuvres qui le virent reprendre quelques uns des meilleurs titres de la jeune garde rock et folk. Pourtant on ne saurait trop louer une fois encore la qualité de ces enregistrements lumineux dans lesquels la voix et la voix seule explose le concept de reprise. Tout ici est une question de magie : il ne viendrait jamais à l’idée de quiconque de prétendre que Solitary Man (ou un autre de cette collection) est un album de reprises tant les morceaux sont transcendés. Et pourtant c’en est un. Stricto sensu. Sur le papier. C’en était un avant qu’il soit enregistré. Après quoi c’est devenu le plus bel album de Johnny Cash, et basta ! N’y allons pas par quatre chemins : les gens qui après avoir entendu la version de « One » par Johnny Cash ont aimé réentendre l’original de la Bande A Bono sont soit des gens dépourvus de cœur, soit des snobs, soit des mongoliens.
  
 
Parce que franchement… savoir qu’il y a des ch... chanteurs (?) qui ont osé ré-enregistrer « One » après ça (oui, Monsieur Joe Cocker, c’est à vous que je m’adresse) fout la flippe… ça signifie qu’il n’y a plus rien de sacré en ce bas monde, ce qui n’est pas surprenant mais tout de même… si, quoi : les cinq American de Johnny Cash, si, ils sont sacrés. Le sacré est même la pierre angulaire de ces édifices. Bien sûr, il y en a qui sont moins bons que les autres (le second n’est pas aussi magistral, la faute à un répertoire un poil en dessous de la moyenne générale – une chanson moyenne chantée par un géant reste tout de même une chanson moyenne)… seulement ils restent supérieurs à quasiment n’importe quoi dans le genre folk. Je vous assure. Sur cet album, Cash marque chaque note de son empreinte, au point qu’on n'imagine même pas entendre ces chansons interprétées par quelqu’un d’autre. A l’époque de mon achat, par exemple, je ne connaissais pas du tout Will Oldham. J’ai voulu le découvrir par la suite, et pour cause : « I See a Darkness » est à mon avis l’une des plus belles chansons de tous les temps. Eh bien mes amis… « I See a Darkness » par son interprète original ,je n’ai tout simplement jamais pu l’entendre jusqu’au bout tellement l’ombre de l’Homme en Noir planait dans la pièce !
 
Mais le plus fascinant, pour moi qui ai si souvent la dent dure, c’est que cet album est composé pour moitié de morceaux dont je n’aime pas les compositeurs (U2, Tom Petty) ou bien de choses qui ne m’avaient jusqu’alors fait ni chaud ni froid (des vieilleries comme « That Lucky Old Sun » ou « Wayfaring Stranger », ici totalement recrées, réinventées, comme si on les entendait pour la première fois alors qu’elles remontent à bien avant l’invention du 78 tours)… incroyable, mais vrai. Sans doute parce que lorsqu’on écoute Solitary Man il se passe quelque chose de bien plus fort que le simple fait d’écouter de la musique… quelque chose qui confine au sacré (justement), au spirituel… quelque chose qui fait que ce n’est pas juste un mec qui chante. Quelque chose, aussi, qui fait que la musique de Johnny Cash sur cet album (et les autres) déborde largement le cadre de son genre – en l’occurrence country/folk. Tout le monde aime ces albums de Johnny Cash. Je pourrais essayer de vous expliquer le pourquoi du comment, vous dire que tout est dans le mix, avec la voix tellement en avant qu’on a l’impression que Cash est à deux mètres de nous… décortiquer "The Mercy Seat" afin qu'on puisse discuter sur l'idée de heavy-folk... vous laisser entendre que la symbolique dans le fond nous dépasse, Cash ayant enregistré à partir de 2000 tous ses disques comme s’il devait chaque fois s’agir du dernier, ce qui renforce l’émotion – seulement je ne pourrais pas vraiment le prouver. Alors je ne vous expliquerai rien, tout bêtement parce que l’explication la plus probable est aussi, sans aucun doute, la plus simple : c’est beau. C’est beau et c’est vivant, même si plus pour très longtemps. C’est beau parce que c’est un mec écorché vif qui est en train de s’éteindre, seul dans une grande pièce sombre. Il y a juste une petite lumière, un micro et une guitare… et vous, qui êtes en train d’écouter, de vous laisser bercer par le vieux monsieur qui vous raconte des histoires d’amours contrariées et de Dieu bizarre qui ne s’occupe pas trop des hommes. En attendant que vienne la mort.
 
Certains auront noté que j’ai écrit quasiment la même chose à propos de Leadbelly. Normal : Solitary Man s’inscrit dans la même lignée. Et comme pour Leadbelly, il est probable qu’alors que tous les guignols dont on nous gave les portugaises à longueur d’années auront disparus depuis des lustres, on écoutera encore la voix du Man In Black dans cent ans. Avec la même ferveur, la même émotion, la même déférence. Sur un autre album, il chantait : I’ll be a legend / On my time.
 
On ne peut qu’approuver.
 
 
 
Trois autres disques pour découvrir Johnny Cash :
 
Live at Folsom Prison (live / 1968)
American Recordings (1994)
America IV : The Man Comes Around (2002)

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