lundi 7 mai 2007

Merci, Monsieur Teulé, pour le voyage et pour le reste

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Alors comme ça vous pensiez tout savoir de Verlaine ? Avoir absorbé son œuvre et dévoré sa vie ? Vous pensiez que vous n’aviez plus rien à apprendre sur le poète ? Vraiment ?

C’est qu’il y a une différence sidérante entre connaître la vie de Verlaine, connaître l’œuvre de Verlaine et connaître Verlaine – tout court… vous ne croyez pas ? A la lecture du roman de Jean Teulé, hommage goguenard à l’un des auteurs les plus importants de tous les temps, il n’est pas certain qu’on découvre beaucoup de poèmes oubliés ou qu’on soit très renseigné sur sa biographie (pour cela je renvoie ceux que cela intéresse à Verlaine, de Pierre Petitfils, fort justement cité dans la bibliographie de Teulé). En revanche on aura l’impression durant trois-cent-trente et quelques pages de côtoyer le vrai Verlaine, Verlaine comme si on y était (si j’ose dire). Voilà qui est autrement plus intéressant et autrement plus agréable à lire ; car avec Jean Teulé, lettres et poésie sont indissociables du plaisir. Et l’auteur de Darling de dérouler au long d’un petit roman aussi instructif que ludique, aussi inspiré que drôle, aussi décalé que crédible et documenté.

Partant d’un postulat évidemment fictif, la rencontre entre un Verlaine vieillissant et au bout du rouleau et un jeune admirateur du nom de Cornuty, Jean Teulé se paie le luxe de jouer avec une image (celle du poète maudit) qui n’est pas la sienne, pourfendant au passage quelques clichés sur l’auteur de Jadis & Naguère. D’entrée Cornuty récupère le Pauvre Lelian (anagramme futé) dans un bordel, rond comme pas deux et dans une dèche absolue, et le lecteur s’embarque aussi sec dans un premier fou rire. C’est que l’Education Nationale, il faut bien le dire, a fini par digérer et totalement aseptiser la figure de Verlaine, en faisant à peu près tout ce qu’il n’était pas, à savoir un auteur massif et académique là où le parrain des décadents mena de concert une vie et une œuvre particulièrement rock’n’roll. Il ne faut pas plus de cinquante pages à Jean Teulé pour rétablir la vérité et imposer une atmosphère décadente et burlesque seyant à ravir tant au roman qu’au poète. Le reste relève de la succession de péripéties tragicomiques montrant un Verlaine tour à tour provocateur, tendre, grossier, tourmenté, illuminé, ridicule, génial… et on ne peut qu’adhérer à tout ou presque, même si Ô Verlaine ! n’échappe pas à la comparaison avec Je, François Villon et si les ficelles semblent souvent plus grosses ici (par exemple cette manière commune à Verlaine et Villon d’improviser leur poèmes célèbres en milieu de récit, très spontanée chez Villon et beaucoup plus maniérée chez Verlaine, ce qui fait qu’au final on a l’impression que Jean Teulé aurait écrit son roman sur Villon en se basant sur ses poèmes là où il n’aurait pu pour Verlaine qu’insérer des poèmes dans son roman).

Au final ce n’est pas encore la fin du cycle consacré à l'auteur, mais j’achève ici ma lecture de la Trilogie des Poètes (!?!) de Jean Teulé en me disant qu’il aurait sans doute été intéressant de les lire à la suite pour en faire une étude commune. L’évolution du projet m’a je dois le dire impressionné, tant par la somme de travail qu’il représente que par la manière dont l’auteur paraît avoir affiné son propos au fil des années : partant d’un roman autour de Rimbaud plus que sur lui (Rainbow pour Rimbaud) il est parvenu a mêler admirablement fiction et biographie dans Je, François Villon, en passant par la case plus bâtarde d’Ô Verlaine !. Car si la vie du grand Paul nous est assurément mieux connue que celle du non moins grand François, j’ai néanmoins eu l’impression pour le moins inattendue qu’il y avait beaucoup plus de fiction dans le Verlaine de Jean Teulé que dans son Villon.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’une trilogie passionnante qui, plus que de mériter le détour, s’inscrit à mon sens parmi les œuvres majeures de la littérature française contemporaine. Alors une dernière fois je voudrais dire : Merci, Monsieur Teulé. Et aussi : à très bientôt.


👍👍 Ô Verlaine ! 
Jean Teulé | Pocket, 2004