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  Beth Orton fait partie de cette génération de     songwriteuses plutôt talentueuses que la presse catapulta dès le  premier single sur le devant de la scène avant de les jeter comme des  kleenex pour des raisons hélas bien compréhensibles :     elles se ressemblaient toutes. Plus sensible que Heather Nova, moins  cruche que Jewel et moins radiomicale qu’Alanis Morissette, la mignonne  Beth a donc (comme toutes les autres) mangé de ce     pain-là avant de se rendre compte que petite fiancée de la folk,  passée la trentaine, n’est plus un métier d’avenir (pensez-vous : on  prend sa retraite encore plus tôt que les joueurs de     foot !). Elle s’est alors lancée dans une suite de carrière « ambitieuse »,  expression signifiant généralement dans la bouche d’un  journaliste que l’artiste a fait     appel à des collaborateurs de prestige pour se remettre dans le bon  sens de la marche. Le très culte Terry Callier ici, le redoutable  ex-gratteux des Smiths Johnny Marr là, et que je te colle un     morceau avec Ben Harper (à l’époque où il est top-credibility, bien  sûr) et paf ! une reprise démente de « Brown Sugar » avec Ryan Adams…   
Au final les albums de Beth Orton,  souvent courageux, ressemblent de moins en moins à quelque chose au fil  du temps, et l’on préfèrera encore se contenter de ce     Trailer Park sympathique et prometteur de 1996. Un premier  album encore très sous-influence (elle a passé la première moitié des  années 90 comme guest de luxe sur les productions de     William Orbit, lequel signe ici « She Cries Your Name », premier –  et meilleur – titre du disque) qui sonne comme un pendant féminin au  premier Jay-Jay Johanson – paru à la même époque.     Si tout n’est pas réussi dans ce premier essai, force est de  reconnaître qu’il s’agit d’un album réellement fouillé dans la rencontre  qu’il orchestre entre folk fleur-bleue et electro     planante (mention spéciale au psychédélisme délicieux de  « Tangent »). C’est d’ailleurs dans ce second genre que Beth Orton  s’exprime avec le plus d’originalité, notamment dans sa voix     (plus terne sur les compos purement folk), ce qui enrage d’autant  plus que c’est précisément dans l’autre direction (acoustico-romantique, donc) qu’elle a foncé durant les années suivantes –     sans doute consciente que c’était la condition sine qua non pour  vendre. Du coup, l’écoute de Trailer Park donne l’impression  non pas d’un, mais de deux albums ! Car en réalité folk     et electro se croisent sans jamais se toucher, se rencontrant  rarement sur un même morceau (hormis le nébuleux – mais raté – « Galaxy of Emptiness »). Autant le dire, cet album mignon     et réussi ne méritait assurément ni les lauriers décernés par la  presse d’alors ni le succès qui en découla. Mais de par ses partis pris  et ses collaborations avec Orbit (encore pape de     l’underground à cette époque – au passage il est amusant de  constater qu’il utilise déjà tous les gimmicks infligés à Madonna deux  ans plus tard sur Ray of Light), Beth Orton était sans     doute bien plus séduisante qu’une Heather Nova – quand bien même  cette dernière a prouvé depuis qu’elle avait un sacré coffre. C’est un  peu triste, mais c’est comme ça : la presse musicale     adore avoir des noms qui font bien à citer – celui de Beth Orton en fait toujours partie.   
Entendons-nous bien cependant : si  l’on ferme les yeux sur la renommée démesurée (et même, osons le dire :  usurpée) de son auteure, Trailer     Park est un bon disque. Sans doute pas de ceux qu’on réécoute  des années après leur sortie, mais en soi ça ne le rend pas spécialement  mauvais. Juste (encore) moins nécessaire, surtout     si vous possédez déjà la discographie intégrale de Sinéad O’Connor,  qu’Orton évoque vocalement de la première à dernière plage de cet album.  Sinéad dont les travaux cherchent sans doute moins     l’originalité mais qui, moins sage et moins affectée, dégage une  personnalité autrement plus marquante.
    
✋ Trailer Park 
Beth Orton | Deconstruction Records/Sony BMG, 1996
