...
"Le monde m’est égal.
C’est une cause perdue, dépourvue de sens.
Le sens, c’est moi qui le fabrique."
Même à la relecture, Instruments des ténèbres est un roman éprouvant, non parce qu’il est sombre mais parce qu’ils est extrêmement austère. Sinistre, étouffant. Sa narratrice, auteure américaine d’une cinquantaine d’années, donne aussi souvent envie de l’embrasser que de la frapper. Dans son journal, elle raconte qu’elle écrit un roman. Comme c’est un peu chiant de parler à son journal sur le mode « Cher Journal», elle a décidé de parler au démon qui sommeille en elle – « Cher Daimon » ça en jette carrément plus. Et puis le roman alterne ainsi passages du journal de l’auteure et passages du roman qu’elle écrit, faisant basculer le lecteur au gré de chapitres très courts mais terriblement denses. D’une certaine manière c’est un texte violent et froid (violent parce que froid), assez peu accessible ; je trouve personnellement merveilleux (et rassurant) qu’une œuvre aussi complexe ait pu avoir autant de succès. Pas facile au premier abord de faire le lien entre les parties, de réaliser à quel point fiction écrite par Nadia, journal de Nadia, et fiction écrite par Nancy Huston se mélangent en permanence. Cela va beaucoup plus loin que la mise en abyme : c’est une espèce de projection permanente, créant un juste milieu entre la grande littérature romanesque « classique » et la littérature nombriliste actuelle.
Alors parfois, le lecteur non averti risque de patauger un peu. C’est normal, et je dirais même : c’est voulu. Fascinant, Instruments des ténèbres, un livre qui s’auto-étudie en permanence. A un moment l’ex-mari de Nadia lui dit qu’elle commet de la littérature « philopsychorigide », et le lecteur ne peut que sourire en découvrant ce passage : effectivement on pourra difficilement trouver un mot mieux choisi pour qualifier ce roman (sinon l’œuvre entière de son auteure). De même en début de texte, la narratrice écrit-elle ce paragraphe assez fou :
« Ce qui m’exaspère dans l’écriture c’est son caractère successif. Je ne parle pas de l’ordre chronologique […] mais du simple fait d’être obligée d’écrire l’histoire une phrase à la fois – on voudrait créer à la manière de Dieu – tout, d’un seul coup, dans un fabuleux éclat d’énergie – le big-bang, le minuscule fœtus, la chose qui est, dans l’instant, et qui peu à peu se diversifie, se spécialise, s’étendant dans tous les sens à la fois… Le roman est d’une linéarité enrageante. »
Lorsque j’ai lu ça, j’ai été sidéré : il est évident qu’on ne peut écrire qu’une phrase à la fois. Mais Nancy Huston est parvenue à donner précisément l’impression du contraire. A donner la sensation qu’elle écrivait tout à la fois, que tout se mélangeait, s’entremêlait, s’entrechoquait… On peut donc considérer qu’elle a parfaitement réussi son projet.
Un livre très dur, mais captivant.
"Le monde m’est égal.
C’est une cause perdue, dépourvue de sens.
Le sens, c’est moi qui le fabrique."
Même à la relecture, Instruments des ténèbres est un roman éprouvant, non parce qu’il est sombre mais parce qu’ils est extrêmement austère. Sinistre, étouffant. Sa narratrice, auteure américaine d’une cinquantaine d’années, donne aussi souvent envie de l’embrasser que de la frapper. Dans son journal, elle raconte qu’elle écrit un roman. Comme c’est un peu chiant de parler à son journal sur le mode « Cher Journal», elle a décidé de parler au démon qui sommeille en elle – « Cher Daimon » ça en jette carrément plus. Et puis le roman alterne ainsi passages du journal de l’auteure et passages du roman qu’elle écrit, faisant basculer le lecteur au gré de chapitres très courts mais terriblement denses. D’une certaine manière c’est un texte violent et froid (violent parce que froid), assez peu accessible ; je trouve personnellement merveilleux (et rassurant) qu’une œuvre aussi complexe ait pu avoir autant de succès. Pas facile au premier abord de faire le lien entre les parties, de réaliser à quel point fiction écrite par Nadia, journal de Nadia, et fiction écrite par Nancy Huston se mélangent en permanence. Cela va beaucoup plus loin que la mise en abyme : c’est une espèce de projection permanente, créant un juste milieu entre la grande littérature romanesque « classique » et la littérature nombriliste actuelle.
Alors parfois, le lecteur non averti risque de patauger un peu. C’est normal, et je dirais même : c’est voulu. Fascinant, Instruments des ténèbres, un livre qui s’auto-étudie en permanence. A un moment l’ex-mari de Nadia lui dit qu’elle commet de la littérature « philopsychorigide », et le lecteur ne peut que sourire en découvrant ce passage : effectivement on pourra difficilement trouver un mot mieux choisi pour qualifier ce roman (sinon l’œuvre entière de son auteure). De même en début de texte, la narratrice écrit-elle ce paragraphe assez fou :
« Ce qui m’exaspère dans l’écriture c’est son caractère successif. Je ne parle pas de l’ordre chronologique […] mais du simple fait d’être obligée d’écrire l’histoire une phrase à la fois – on voudrait créer à la manière de Dieu – tout, d’un seul coup, dans un fabuleux éclat d’énergie – le big-bang, le minuscule fœtus, la chose qui est, dans l’instant, et qui peu à peu se diversifie, se spécialise, s’étendant dans tous les sens à la fois… Le roman est d’une linéarité enrageante. »
Lorsque j’ai lu ça, j’ai été sidéré : il est évident qu’on ne peut écrire qu’une phrase à la fois. Mais Nancy Huston est parvenue à donner précisément l’impression du contraire. A donner la sensation qu’elle écrivait tout à la fois, que tout se mélangeait, s’entremêlait, s’entrechoquait… On peut donc considérer qu’elle a parfaitement réussi son projet.
Un livre très dur, mais captivant.
👍👍👍 Instrument des ténèbres
Nancy Huston | J'ai lu, 1996