jeudi 8 mars 2007

Des petits patelins, de Richard Brautigan et du mal au doigt...

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Judith débarque à Bassebourg. Rien que le nom ne fait pas envie. D’ailleurs dans ce petit patelin, rien ne fait envie… Ah là là ! Les petits patelins ! Qu’est-ce qu’ils nous auront fait chier, tous ces petits villages, depuis la Nuit des Temps Littéraires, à persécuter les nouveaux arrivants, les étrangers… non franchement : c’est déjà rarement une bonne idée d’être une héroïne de littérature, mais alors être une héroïne de littérature qui débarque dans un petit village… c’est vraiment un mauvais plan. Tout le monde vous le dira, tout le monde le sait. Tout le monde sauf Judith, a priori, mais à sa décharge : elle n’a trouvé du travail qu’à Bassebourg, endroit passablement loufoque où même les murs sont chiantos…

Vous l’aurez compris, voici un livre qui ne se prend pas au sérieux. Ça fait du bien ! Pourtant bizarrement, les gens lisant des livres ne se prenant pas au sérieux ont tendance à considérer qu’il ne faut pas non plus prendre ces livres au sérieux. Quand je lis les commentaires sur N’allez pas croire qu’ailleurs l’herbe soit plus verte…elle est plus loin et puis c’est tout (oui, j’ai écrit exprès le titre en entier pour rallonger ma critique), je suis frappé de voir qu’à l’exception d'un ou deux on ne semble avoir noté nulle part que Murielle Levraud écrit remarquablement bien. Parce que mine de rien, ce n’est pas si facile de trouver un style correspondant à un ton aussi loufoque et barré ! Moi, honnêtement, je ne pourrais pas. Et pourtant je peux faire plein de choses.

Un autre truc qui m’a un peu agacé, c’est le quatrième de couverture qui compare Murielle Levraud à Queneau, Prévert et Vian (on sent bien que si l’éditeur n’a pas rajouté Pérec et Calvino c’est uniquement faute de place). C’est sans doute très vendeur, mais ce n’est pas vrai du tout. Tant qu’à faire, je comparerais plutôt N’allez pas croire qu’ailleurs l’herbe soit plus verte… (là je ne l’ai pas écrit en entier mais un gamin m’a coincé le doigt dans une porte ce matin, et je souffre) à Richard Brautigan (dans ma bouche, ce n’est pas le moindre des compliments). Pourquoi ? D’abord parce que le point de départ de l’intrigue est typique de Brautigan (il en a écrit au moins six qui commencent avec l’étranger débarquant dans une petite bourgade hostile). Ensuite parce que j’y ai trouvé le même côté transgressif et franchement déjanté, que je ne retrouve pas par exemple chez Queneau (qui m’amuse mais ne me fait pas pisser de rire comme Brautigan… ou Levraud). Et enfin parce que Queneau, ou Prévert, voilà des mecs qui n’écrivaient pas forcément des livres très sérieux mais qui se prenaient absolument au sérieux. Contrairement à Levraud (et donc à Brautigan, si vous me suivez toujours). Je vais même vous dire : pour l’avoir relu il n’y a pas si longtemps, je trouve même (mais c’est totalement subjectif) que Murielle Levraud a une écriture beaucoup plus racée et personnelle que Richard Brautigan (qui écrivait pas mal, mais pas spécialement mieux que la plupart des auteurs américains des années 60/70).

Alors oui, je me suis quand même bien bidonné en lisant ce bouquin. Bien sûr ça se lit très vite (deux fois une demi-heure en ce qui me concerne), bien sûr c’est léger. Mais la légèreté est souvent bien plus difficile à atteindre que la gravité, à plus forte raison en littérature (il ne vous aura pas échappé que les romans drôles ne sont pas aussi nombreux que les films drôles). Mine de rien, l’humour, c’est sérieux. On ne rigole pas avec l’humour – on rigole de lui.

D’ailleurs dans la vraie vie il ne serait pas surprenant que Murielle Levraud soit quelqu’un de totalement sinistre. Je ne le lui souhaite pas, mais si elle publie un second roman aussi vif et réussi que N’allez pas voir… (j’ai de plus en plus mal au doigt), on l’en excusera.


👍👍 N’allez pas croire qu’ailleurs l’herbe soit plus verte…elle est plus loin et puis c’est tout 
Murielle Levraud | Robert Laffont, 2005