jeudi 22 février 2007

Five Little Pigs - Trop fort !

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Carla Crale vient d’atteindre sa majorité lorsqu’on lui remet une lettre de sa mère… Carla Crale. Dans ce court billet post-mortem, cette dernière l’assure de sa parfaite innocence dans le crime pour lequel elle a été condamnée seize ans plus tôt – le meurtre de son époux. Il n’en faut pas plus à la jeune femme pour faire rouvrir l’enquête par le plus grand détective de tous les temps, Hercule Poirot himself. Hercule Poirot qui va faire plus fort que fort (c’est même sûrement l’aventure où sa puissance de déduction est la plus hallucinante), puisqu’il va résoudre l’affaire a posteriori (le premier titre du livre était d’ailleurs Murder in Retrospect) et ce quasiment sans bouger de chez lui.


C’est un des classiques de l’auteure, mais c’est un classique qu’on peut encore découvrir avec bonheur. Parce que franchement, les romans d’Agatha Christie les plus connus c’est un peu comme la fin de Psycho : ça devient de plus en plus difficile de lire Murder on the Orient Express ou And then There Were None sans qu’un connard nous en ait déjà raconté la fin au moins une fois. Alors que là, c’est du connu, du sûr, de l’éprouvé, du lourd – pas encore tout à fait du couru. Comme en plus ce n’est pas un de ceux (il y en a une pelletée, surtout à partir des années 50) où Christie décline sa formule magique du deux coupables au lieu d’un, le lecteur vierge se laissera probablement attraper par le dénouement…

… alors que paradoxalement c’est loin d’être l’enquête de Hercule Poirot la plus compliquée à résoudre ! Là, on touche à une espèce d’art dont seule Agatha Christie a le secret : elle brouille tellement les pistes que l’hypothèse la plus simple, celle qui vous vient généralement au bout de vingt pages, se voit balayée alors que c’est systématiquement la bonne. Balaise ! Ici par exemple nous avons cinq suspects et cinq mobiles évidents. Si je vous dis qu’un de ces mobiles évidents est le bon, vous penserez que vous avez par conséquent une chance sur cinq de donner la bonne réponse ? Eh bien je vous parie que vous allez quand même vous planter !

Vraiment, c’est très ludique. Vous pouvez d’autant mieux me croire que je l’ai lu ici pour la seconde fois, ce qui ne m’a nullement empêché de m’amuser comme un petit fou. Peut-être même plus que la première fois : n’étant plus accaparé par la recherche du coupable, j’ai pu me délecter des toutes les finesses d’écriture d’une auteure trop souvent méprisée du strict point de vue stylistique. Tout ceci m’a semblé d’une modernité épatante, tant dans le langage que dans les thèmes (étendard du féminisme porté bien haut, réflexions amusantes sur une époque recyclant les modes d’antan – comme quoi ça ne date pas d’hier…)… et, évidemment, dans la structure : décomposé en trois parties, Five Little Pigs fait la part belle au discours rapporté, épargnant du même coup au lecteur les divagations d’un Poirot parfois très bavard. Pas de ça, ici : dans la première partie il rencontre les principaux acteurs de l’histoire, un par un, méthodiquement. Dans la seconde, l’auteure nous livre leurs récits personnels des évènements couchés sur le papier à la demande du détective (idée lumineuse : chacun voyant la victime et la coupable présumée de manière différente, cela crée un double portrait kaléidoscopique fascinant). Dans la troisième nous découvrons les conclusions. Ni digressions ni fioritures, des faits et rien que des faits.

De quoi satisfaire ce bon vieux Hercule : lui qui déteste rechercher les preuves matérielles n’a pas de souci à se faire seize ans après.

De quoi satisfaire au moins autant le lecteur : Five little pigs se révèle tout à la fois un roman à l’écriture remarquable, un polar parfaitement huilé et un délicieux jeu de massacre…


👍👍👍 Five Little Pigs 
Agatha Chrisite | Mead and Company, 1942