jeudi 26 octobre 2006

George Harrison - Survivre, malgré tout

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Sur Le Golb, je viens souvent vous parler des grands chefs-d’œuvre oubliés par l’histoire du rock n’roll. Cependant, j’aimerais attirer votre attention sur le fait que, parfois, certains disques oubliés méritaient bel et bien de l’être.
 
Oui : de même qu’il y a des grands disques d’artistes totalement oubliés, il y a des disques affligeants de grands artistes immortels. Comme des Golden Albums Inversés, des Top of the Flops de Diamant… que nous, auditeurs, ne devons pas oublier. Un genre de devoir de mémoire, en quelque sorte.
 
Ainsi donc, le classique-soporifique All Things Must Pass n’est pas, comme on le dit souvent, le premier album solo de George Harrison. Non, son premier album solo, c’est Electronic Sound , sorti deux ans plus tôt et co-produit par un certain Bernie Krause, un psychopathe dont rien que le nom file la pétoche. George Harrison pionnier de la musique électro ? Non ? pas possible !

 
Ah vous croyez que je déconne ? Non, non, je vous assure. Ce disque existe, et il est effectivement avant-gardiste… mais avant-gardiste de trucs qu’on aimerait bien oublier. Electronic Sound, pourtant, a quelque chose de presque merveilleux tellement il est ridicule. Ça le rend attachant. Et en plus, ça donne l’impression que les trucs les plus inaudibles de Sonic Youth sont du disco.
 
Autant All Things Must Pass est un disque soporifique, autant Electronic Sound décoiffe. Vous avez déjà entendu Metal Machine Music de Lou Reed ? Eh bien c’est pareil, mais en pire.
 
Un vrai précurseur, ce George.
 
En 1969, donc, le Beatle muet publie un premier album solo dans la continuité de sa carrière d’alors, à savoir un objet sur lequel il ne chante pas. Las ! le LSD a fait plus d’une victime, et au moment même où Harrison sort « Something », il pond également les deux morceaux de cet album. Un pour chaque face. Deux morceaux, cela peut sembler bien peu. En fait, c’est amplement suffisant pour vous donner envie d’attraper l’objet contondant le plus proche et d’en finir avec une vie qui va soudainement vous sembler plus moche que moche. Préparez-vous, on va partir dans un voyage au bout de l’Enfer. Mais avant je dois vous faire une confession, car il est possible que ce soit la dernière chose que vous appreniez à mon sujet de mon vivant : je n’ai jamais réussi à écouter ce disque jusque bout. Je vais tenter l’expérience pour vous, et rien que pour vous. Je vais tenter l’impossible.
 
Par conséquent, ceci est peut-être bien le dernier article du Golb. Auquel cas, sachez que ce fut pour moi un grand plaisir de vous raconter des conneries six mois durant.
 
Face A : « Under the Mersy Wall »
 
Intro : bruit menaçant.
 
0,04 : genre de sirène de navire, mais en plus grave et plus long. Ça s’enchaîne avec un genre de bruit non identifié…
 
0,32 : truc bizarre au synthé.
 
0,38 : succession de synthés et de petits bruits que je situerai quelque part entre une porte qui grince et un pet.
 
1,01 : George Harrison frotte la pointe de sa fourchette sur son assiette.
 
1,03 : sans tambour ni trompette, il lance simultanément la sirène du bateau, les pets, la fourchette, et pour être sûr de tuer au moins un auditeur avant le terme de la seconde minute il ouvre lentement, très lentement la grille de son jardin.
 
2,02 : la musique se met à trembler. N’allez pas engueuler votre disquaire, ce n’est pas du tout le disque qui saute mais bel et bien un truc volontaire.
 
2,36 : George Harrison s’essaie (en vain) à jouer « Let It Be » sur un synthétiseur Casio ; en désespoir de cause, il tape sur des touches au hasard durant la minute suivante.
 
3,38 : Silence complet… n’allez pas rêver que le morceau est fini, ça reprend à 3,54.
 
3,57 : George tire la chasse d’eau – ce qui vient confirmer l’hypothèse du pet avancée plus haut. Puis, reprise du thème inaugural.
 
7,57 : le premier ovni de l’histoire du monde arrive sur la Terre. Il mettra précisément une minute à atterrir.
 
9,06 : l’ovni se rend compte qu’il s’est gourré de planète et repart en sens inverse ; George Harrison illustre ça avec une vague mélodie de synthé menaçante, très en avance sur son époque puisqu’en 1969, Rencontre du troisième type n’a pas encore été tourné.
 
10,08 : une espèce de grosse explosion finale laisse entendre que le morceau est terminé… c’est mal connaître George qui, poursuivant l’ovni, fait décoller un hélico aux alentours de 10,11.
 
10,30 : il a rattrapé l’ovni, puisqu’on entend à nouveau son bruit immédiatement reconnaissable.
 
(à noter que ce n’est pas un accordéon qu’on entend à partir de 11,08, mais un genre de guitare filtrée… le résultat sonne un peu comme les ressorts de Zébulon)
 
12,00 : reprise du thème initial, la fameuse sirène, et ce jusqu’à 18,45, qui marque la fin du premier morceau.
 
Face B : « No Time or Space »

Notre histoire d'ovni se précise.
 
Ce morceau de bravoure s’ouvre sur une minute entière durant laquelle George Harrison cogne un saladier sur la table de sa cuisine. Puis il tente de reproduire le bruit de l’ovni (qu’il n’a finalement pas pu rattraper) avec son synthé Casio, tout en cognant son saladier en même temps (sans raison apparente…  peut-être qu’il trouve ça joli ?)
 
1,28 : un gros bruit de vent.
 
2,05 : un brrrrrrrrrrr de transistor qui déconne – n’allez pas vérifier vos enceintes elles marchent très bien
 
6,08 : un accord de guitare électrique laisse entendre que le titre va commencer… en fait pas du tout.
 
6,33 : George Harrison, décidément visionnaire, imite une décennie plutôt le bruit de R2D2 (qu’il doublera d’ailleurs dans la version originale de Star Wars).
 
7,07 : un truc strident non identifié rend le disque totalement inaudible durant plus d’une minute.
 
9,13 : George passe un coup de fil – mais ça sonne occupé.
 
12,00 : George découvre une touche vachement marrante sur son clavier, une qui imite super bien le bruit de l’espace (enfin en admettant que l’espace ait un bruit caractéristique). Ravi, l’auteur de « While My Guitare Gently Weeps » s’amuse avec jusqu’à la minute 18,00… en fait, pour être précis, jusqu’à ce qu’il découvre une autre touche qui, elle, imite très bien le cri du fantôme dans les vieux films de la Warner. Cette touche l’amuse jusqu’à la minute 20,56, après quoi, laissé, il se remet à faire l’espace.
 
21,29 : George a une idée géniale : faire l’espace ET le fantôme en même temps !!!
 
A 25,06, la face est finie. George est heureux, et théoriquement c’est l’auditeur qui est devenu un fantôme.
 
Et on s’étonne après ça que John et Paul n’aient jamais voulu de ses chansons sur les disques des Beatles...


👎👎 Electronic Sound 
George Harrison | Zapple Records, 1969