vendredi 22 septembre 2006

William Faulkner - Un conte narré par un idiot...

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Le quatrième roman de William Faulkner fait partie des quelques livres au monde considérés comme intouchables et incritiquables. Dire qu’il ne s’agit pas d’un chef-d’œuvre pourrait même être vu comme blasphématoire – rassurez-vous je ne vais pas le faire. Tout ou plus me permettrais-je, en tant que spécialiste de l’auteur, d’estimer que ce n’est pas, de tous ses livres, celui que je préfère. Il ne figure d’ailleurs même pas dans mon Top 5.

Comme souvent avec Faulkner, l’idée de départ est limpide et devient totalement embrouillée une fois l’écriture achevée. Ce postulat très simple est celui d’imaginer les réactions, les pensées et les comportements d’un groupe d’enfants le jour de l’enterrement de leur grand-mère, alors même qu’ils ignorent qu’elle est décédée. C’est ce qu’on retrouve dans la première partie du livre, la plus réussie et probablement les 50 meilleures pages jamais rédigées par l’auteur. Le lecteur est immédiatement plongé au cœur de ce bruit et de cette fureur, il partage la confusion absolue des protagonistes.

Les choses se corsent sévèrement lorsqu’est introduit le personnage de Benjy qui, contrairement à ce qu’ont pu écrire nombre de critiques reconnus (jusqu’à Faulkner lui-même), n’est pas un idiot. En revanche, c’est un psychopathe. Et voilà comment on trouve un titre qui claque : The Sound and the Fury, inspiré d’une des dernières tirades de Macbeth : « [Life] is a tale told by an idiot, full of sound & fury, signifying nothing… »

Reprendre la citation de Shakespeare permet d’éclairer le roman de Faulkner d’une lumière nouvelle : il a voulu faire de ce qui ne devait au départ être qu’un conte (a tale, donc) une synthèse de la vie.

Pour arriver à ses fins, il a employé sa méthode bien connue des lecteurs : le brouillage chronologique. Car avant d’être un chef-d’œuvre en terme d’écriture ou de propos, The Sound and the Fury est (comme quasiment tous les plus grands livres de Faulkner) un chef-d’œuvre structurel. Chaque partie narre une journée précise, mais dans le désordre chronologique le plus total – croit-on. Cela renforce la confusion du lecteur et provoque sa désorientation totale. Il serait intéressant, d’ailleurs, d’essayer de lire cet ouvrage en remettant chaque partie dans le bon ordre… je suis persuadé que ça gâcherait les trois quarts du livre.

Figure emblématique de ce récit, le personnage de Quentin Compson donne tout son sens à l’entreprise faulknerienne : ses fantasmes incestueux et macabres (qui peuvent sembler bien anodins aujourd’hui mais qui ne manquèrent pas de choquer l’Amérique en 1929) sont le fil rouge de cette histoire finalement extrêmement lente et statique. Ils ne se dévoilent qu’au fil des pages – et des parties. C’est tout l’art de Faulkner qui s’exprime ici : ses personnages, à la différence de ceux des autres romans contemporains, ne se déplacent quasiment pas dans l’espace et ce sont leurs fantasmes et leurs obsessions qui se développent dans le temps.

Un jeu multidimensionnel qui donne le tournis et ne manquera pas de rebuter le lecteur non averti. Moi-même, la première fois que j’ai pris ce livre, il m’est tombé des mains. C’est un texte extrêmement dur – dans tous les sens du termes. Puis j’ai fini par le lire il y a quelques années. Et c’est seulement avec cette nouvelle lecture que je comprends pourquoi c’est à la fois le roman de Faulkner le plus connu et celui dont il était le plus fier : il est une synthèse parfaite de son œuvre.


👑 The Sound and the Fury [Le Bruit et la Fureur] 
William Faulkner | Vintage International, 1929