dimanche 14 mai 2006

Mauriac. Encore, toujours...

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Il est pour le moins périlleux de s’essayer à introduire un texte aussi court que celui-ci. Petit roman de même pas 150 pages, Le Sagouin nous amène au cœur de la vie provinciale (quoi ? Au cœur de la vie provinciale dans un bouquin de Mauriac ? Ben ça, merde alors, c’est surprenant), suivant les destins croisés du petit Guillou, enfant difforme et méprisé issu de l’alliance pour le moins contre nature de Galéas, aristocrate lui-même totalement méprisé, et de Paule, jeune femme ayant pris ses désirs d’élévation sociale pour des réalités et regrettant amèrement d’y avoir laisser ses plus belles années. En butte permanente à la Baronne, la vraie, sa belle-mère, rejetée par les villageois pour une antique histoire "de moeurs", haïssant son mari si laid et fade, Paule a fait de son unique fils le réceptacle de toute sa haine et de tout son dégoût.

Mauriac, c’est Mauriac. A savoir une écriture furieuse, simple mais terriblement violente. Une structure romanesque quasiment inexistante, des personnages fous à lier ou (le cas échéant) rendus monstrueux par la haine. Dans ce roman, il semble retrouver (enfin) l’état de grâce de ses grands livres de l’entre deux guerres (Genitrix, Thérèse Desqueyroux, Le Nœud de vipères). S’il n’atteint jamais la puissance des chefs-d’œuvres suscités, l’auteur parvient à sortir un livre captivant, sans doute son plus personnel, qui pourrait être une excellente introduction à son œuvre tant il en semble une synthèse parfaite : protagonistes torturés, figures féminines castratrices (ici qui plus est on est servi : trois pour le prix d’une !) et écriture quasi instinctive.

Petit défaut cependant : les romans courts de Mauriac ont toujours été sauvés par leur densité, leur cohérence. Ici, le roman est très court mais contrairement à (au hasard) Genitrix, il développe une véritable histoire avec un nombre assez conséquent de personnages… En résulte un goût d’inachevé : 139 pages (écrites en gros) pour évoquer tout à la fois le petit sagouin, les rapports maternels destructeurs, les ragots et petites bassesses des patelins paumés et la lutte des classes… ça fait quand même un peu léger. Il est par exemple regrettable que les rapports entre Guillou et l’instituteur n’aient pas été plus approfondis… : ils sont au centre du roman, ils sont la plaque tournante justifiant la première moitié et provocant la seconde or cette "relation" est évacuée en un chapitre. Dommage.

Il n’en demeure pas moins que ce roman, s’il n’est pas le meilleur de son auteur, en est un excellent résumé. Un genre de best of de l’univers de Mauriac, plus facile à lire que certains de ses classiques et très intéressant du point de vue de l’œuvre en elle-même : Mauriac, que j’ai autrefois qualifié d’écrivain de la haine ordinaire , y semble, plus de quarante ans après la publication de son premier recueil (Les Mains jointes), jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. Et résume son œuvre en deux phrases :

"Comme on dit « faire l’amour », il faudrait pouvoir dire « faire la haine ». C’est bon de faire la haine, ça repose, ça détend."


👍 Le Sagouin 
François Mauriac | Presse Pocket, 1951