mardi 30 mai 2006

Le Maître Zola

...
Les meilleurs romans de Zola ne sont pas fatalement ceux qu’on cite en références. La Curée, c’est l’exception qui confirme la règle. C’est un de ses plus grands livres, un chef-d’œuvre total dont je ne sais même pas quoi dire tellement vous trouverez d’analyses plus complètes et détaillées sur des dizaines de sites internet. Pour le fun, j’ai tapé EMILE ZOLA + LA CUREE en recherche sur google. J’ai carrément trouvé un site entier non pas sur l’auteur, mais juste sur ce bouquin précis…

Alors très franchement qu’est-ce que je pourrais vous dire de plus ?

La Curée, volume 2 dans le cycle des Rougon-Macquart (détail totalement inintéressant puisque chacun peut-être lu indépendamment et qu’en plus, Zola lui-même ne les a pas écrits dans l’ordre…), met en scène la sublime Renée Saccard. Elle a tout pour elle : elle est belle, intelligente, blindée de fric… mais elle est mariée à Aristide Saccard. Un personnage admirablement brossé par l’auteur, d’une complexité et d’une profondeur uniques dans toute l’histoire de la littérature (française ou autre). Bizarrement, la plupart des critiques sérieux étudient en long en large et en travers la figure de Renée, rarement celle de Saccard - qui est à mon sens la plus importante du livre.

Saccard est totalement accaparé par ses affaires, et laisse la plupart du temps sa seconde épouse en compagnie de Maxime, son fils…

La suite se devine facilement. Qui ignore encore que La Curée est une variation habile sur le mythe de Phèdre ? Et quand bien même on l’ignorerait, il faudrait vraiment être stupide pour ne pas s’en rendre compte vu qu’il y est ouvertement fait allusion à plusieurs reprises au chapitre V. Là n’est d’ailleurs pas la question, car Zola, à la différence de nombreux auteurs, sait se servir d’un mythe sans jamais le trahir. Cette histoire, celle de Phèdre, est en elle-même totalement universelle. Il se trouve que quelques tragédiens en ont fait des pièces, grand bien leur fasse – de toute façon mythe ou mythe pas un auteur y aurait forcément pensé un jour. De fait, ce n’est pour Zola qu’un carcan, une trame de base. Un prétexte à une étude de mœurs nettement plus poussée et profonde, écrite dans ce style surpuissant qui caractérise Mimile au meilleur de sa forme.

Cette analyse (on pourrait presque parler d’expertise) est d’autant plus spectaculaire qu’en 1872, Zola prétendait en toute modestie radiographier son époque. Comment aurait-il pu deviner qu’il balayait en réalité n’importe quelle époque et n’importe quel contexte ? A t’il seulement une seconde imaginé que son livre n’aurait pas pris une ride 134 ans plus tard ? Après ma seconde lecture de « La Curée », c’est une question qui m’importe bien plus que de savoir si oui ou non les descriptions sont trop longues, ou si oui ou non la construction du roman (qui opère de nombreux flashbacks) était révolutionnaire au XIXe, ou si oui ou non Zola est fidèle au mythe (pour reprendre quelques exemples de questions palpitantes évoquées au sujet de ce livre). A une époque où il est de bon ton de cracher sur les classiques, et où il est d’encore meilleur ton de massacrer les mythes, la lecture et la compréhension de La Curée relèvent presque de l’acte de résistance.

Un classique est un classique, et un chef d’œuvre un chef-d’œuvre.

De temps à autres, un classique est aussi un chef-d’œuvre.


👑 La Curée 
Emile Zola | Garnier-Flammarion, 1872