jeudi 14 juin 2012

A Place To Bury Strangers - Black Celebration

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La première chose qui frappe, c’est le son. Dense, puissant. Se dit-on presque machinalement. Avant de se rendre à l’évidence : dense, puissant étaient déjà des adjectifs largement falots appliqués à Exploding Head, précédent – et excellent – album d’A Place To Bury Strangers. Pour son successeur, Worship, il conviendrait presque d’inventer de nouveaux mots. Et un Oscar de la prod’, un.

Ce qui étonnant avec cet album, c’est qu’on ne l’ait pas vu venir. On l’attendait de pied ferme, bien sûr, eu égard au statut de meilleur groupe de sa génération du trio new-yorkais. Mais malgré tout, on ne soupçonnait pas une telle baffe… enfin un tel uppercut… enfin là aussi, on cherchera de nouveaux mots – promis. Au contraire, l’EP Onward to the Walls, en début d’année, avait plutôt eu tendance à annoncer un Exploding Head II : le retour. Une forme de stagnation. Or c’est tout l’inverse : voici un album qui enfonce son pourtant remarquable prédécesseur dans les grandes largeurs… qui à dire vrai enfonce la quasi totalité des albums de 2012 dans les grandes largeurs, et facilement encore, semble-t-il.


A Place To Bury Strangers a quelque chose de miraculeux. Quand certains groupes surjouent la singularité, tentent désespérément de se démarquer, lui évolue en parallèle dans non pas un, non pas deux, mais trois des registres les plus balisés de la dernière décennie. Noise, post-punk, shoegaze… on entend ça deux à trois fois par semaine depuis au moins 2005, et l’on se contente la plupart du temps de saluer poliment les qualités ici instrumentales, ici de songwriting, le plus souvent d’imitateurs des groupes incriminés. Avec A Place To Bury Strangers, quasiment dès les premières notes du premier morceau du premier album ("Missing You", APTBS, 2007), on était au-delà de cela. Il peut bien outrageusement pomper The Jesus & Mary Chain sur "You Are the One", c’est à peine s’il viendrait à l’idée de le préciser. Parce que ce groupe… ce groupe à une classe infernale – au sens strict du terme infernale (et du terme classe aussi, d’ailleurs).

Worship signifie adoration, au sens religieux de la chose, et c’est peu dire qu’en glissant l’objet sur la platine, il y a de cela. Un culte certes ténébreux, tant l’album est hanté ("Why I Can’t Cry Anymore") et suinte l’angoisse ("Fear"), à peine illuminé par une paire de tubes new wave ("Dissolved" et "And I’m up") dont les mélodies entraînantes cachent peu ou mal l’incurable romantisme et qui jamais, pas une seconde, ne semblent sympathiques ou pop. Onze titres durant, Oliver Ackermann voudra mourir, réclamera vengeance, rompra (avec l’amour, le monde, la vie), promettra toute une litanie de supplices plus moins violents, de cette voix mieux captée que jamais, tantôt menaçante ("Mind Control", "Alone"), tantôt saturée d’une douleur sourde et purulente ("And I’m up" encore, peut-être le meilleur morceau de l’année 2012). A la fois plus aérée et plus noyée que jamais dans les effets, l’écriture du groupe n’a jamais parue si mûre – car c’est aussi cela la particularité d’A Place To Bury Strangers : malgré un énorme travail de production et une recherche sonique perpétuelle, ne jamais perdre de vue que le rock’n'roll est affaire de chansons. Celles de Worship ne sont pas juste bonnes. Elles témoignent de la même rigueur, de la même virtuosité qui président aux harmonies et autres enluminures. Grand disque, mais était-il encore utile de le préciser ?


👑 Worship 
A Place To Bury Strangers | Dead Oceans/Differ-ant, 2012