dimanche 3 mai 2009

Heroes - Eclipse totale d'audience

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Il y a vraiment un cas Heroes, un cas à part, ou du moins un cas qu'on n'avait plus rencontré depuis longtemps (depuis, en fait, l'époque où les séries n'étaient pas encore le top de la mode) : celui d'une série qui, plus elle est efficace, moins elle marche. N'y allons pas par quatre chemins : cette année les audiences ont été si mauvaises (descendant en-dessous de sept millions de téléspectateurs... ce qui peut sembler énorme vu de France mais qui, pour une série américaine, est ridicule) que la prolongation par NBC (confirmée le mois dernier) des aventures de la famille Petrelli et de ses ramifications consanguines relève du miracle télévisuel. Or le paradoxe, c'est que cette troisième saison est sans doute sinon la meilleure du moins la plus équilibrée à ce jour, ce qui n'était franchement pas le cas de la première (qui souffrait de certaines longueurs) ou de la seconde (qui à l'inverse souffrait un peu de la disparition de l'aspect "vie quotidienne des héros", réduit à peau de chagrin pour cause de grève des scénaristes).

L'excellente idée de cette année aura évidemment été d'incorporer deux volumes dans la même session. Excellente parce que du coup, les auteurs sont parvenus à garder le meilleur des deux premières saisons, le souffle de la un comme le dynamise de la seconde. Cette dernière se finissait sur les chapeaux de roues ? Aucun problème : c'est sur le même rythme effréné que démarre le volume III (Villains), avec en l'espace de dix minutes :

- la révélation étonnante de l'identité du tireur embusqué qui avait abattu Nathan dans le final de l'an passé

- une nouvelle menace pour le futur (on ne change pas une formule qui gagne...)

- Sylar qui réussit (enfin) à attraper Claire

- Hiro qui découvre (enfin bis) le grand secret de son défunt père

- l'hypothèse d'un traitement permettant de donner des pouvoirs à n'importe qui.

C'est là qu'on prend conscience de l'habileté (c'est le cas de le dire) des scénaristes : avec autant d'axes, il auraient pu nous remplir une saison entière. Là, ils nous font juste le pilote d'un chapitre qui passe son temps à rebondir, à se tordre, et à monter en puissance jusqu'à un climax exceptionnel - une nouvelle éclipse (1).

A présent balayons d'un revers de main l'argument des fans déçus, pour mieux nous concentrer sur le reste : non, ce n'est pas n'importe quoi. L'argument est particulièrement injuste, dans la mesure où Heroes n'est pas plus n'importe quoi en 2009 qu'en 2006. La série de Tim Kring n'a jamais été étouffée par la vraisemblance et n'a jamais reculé devant le grand-spectacle un peu bébête comme devant les intrigues branlantes... s'en apercevoir aujourd'hui serait presque attendrissant si cela n'entraînait pas une flopée de commentaires aussi négatifs que déplacés. On ne regarde pas Heroes comme on regarderait les Sopranos, de même qu'on ne regarde pas un blockbuster (même un très bon comme le dernier Batman) avec la même exigence qu'on regarderait un film d'auteur. Heroes remplit donc sa mission dans la mesure où, comme pour la plupart des comics dont elle s'inspire, elle n'a jamais été autre que de proposer un grand divertissement populaire pas trop con et absolument jouissif, de réveiller le gamin sommeillant en chaque téléspectateur et de faire péter les ventes de pop-corn les jours de diffusion. On peut détester le principe. Nier qu'il ait toujours été à la base de la série (rappelons que le créateur de Heroes n'est pas spécialement un auteur minimaliste de séries confidentielles... mais celui de Preuves à l'appui !) pour mieux idéaliser la première saison, c'est moins excusable.

Aussi dans ces deux nouveaux chapitres (surtout le troisième, d'ailleurs) les intrigues sont-elles toujours aussi tordues (notamment tout ce qui concerne les voyages dans le temps (2)), tout en donnant la sensation que la trame générale n'a jamais été aussi limpide. Quatre volumes plus tard, le recul aidant, on prend enfin conscience de la qualité d'une progression narrative paraissant jusque-là chaotique (3), on comprend finalement où les scénaristes voulaient en venir depuis le début... un peu comme dans la saison 5 de Lost (on en reparle évidemment bientôt), même si dans une moindre mesure, le temps des réponses aux questions semble être venu. Mieux encore : la dimension tragique n'a jamais été aussi évidente, magistrale même, que dans le volume 4 (Fugitives, peut-être le meilleur chapitre de toute l'histoire du programme). Où l'on s'aperçoit, stupéfait, que depuis le début les héros passent leur temps à essayer d'empêcher le futur... en vain, puisque les évènements tragiques finissent toujours par se produire, d'une manière ou d'une autre, avec des nuances soit, il n'empêche : les personnages devenus systématiquement des "méchants" dans les futurs alternatifs des saisons 1 et 2 finissent quoiqu'il advienne par devenir des méchants - peu importe les actes de bravoure auxquels ils ont pu se livrer pour l'éviter.

En somme de la noirceur, du tragique, du suspens... il ne manque rien à cette troisième saison de Heroes... sinon bien sûr le succès dû à son rang. Elle a sauvé sa peau pour 2009 ; mais il s'agit tout au plus d'un sursis. Quelle idée aussi d'avoir confié la rédaction du volume 4 à Bryan "La Lose" Fuller... qui avait certes écrit une bonne part du premier, mais qui est surtout connu pour son don unique pour créer des séries s'arrêtant avant la fin faute d'audience (5).

Quand je vous disais qu'on ne pouvait éviter le futur...


👍👍 Heroes (saison 3, volume III & IV)
créée par Tim Kring
NBC, 2008-09


(1) Pour donner un exemple parlant : les CSI et autres Lost carburent aux alentours de 15 millions chaque semaine ; Fringe, le plus gros succès de l'année, ayant régulièrement dépassé les 20 millions !
(2) Pour ceux qui l'auraient oublié ce phénomène est au coeur de la série depuis longtemps, puisque c'est durant une éclipse que les pouvoirs de nos héros sont apparus pour la première fois.
(3) Là-dessus la saison 2 était déjà riche en invraisemblances !
(4) Les aléas de la diffusion n'ont pas aidé de ce point de vue... on passe de 23 épisodes (saison 1) à 11 (saison 2) pour grimper à 25... pas facile de dégager des axes, surtout avec cette manie de Tim Kring d'achever chaque saison sur le début du volume d'après...
(5) Wonderfalls, Dead Like Me, Pushing Daisies...
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